L’ancien ministre délégué à la promotion de l’égalité des chances, entre 2005 et 2007, dirige depuis septembre dernier l’Institut français du Portugal, à Lisbonne. Egalement conseiller de coopération et d’action culturelle auprès de l’ambassadeur de France, Azouz Begag espère rendre sa place à la langue française. Interview.
« Azouz Begag, vous êtes désormais en charge du rayonnement culturel français ici à Lisbonne. Pourtant, ces dernières années, vous avez brigué sans succès plusieurs mandats dans votre région lyonnaise. Pourquoi un tel changement de vie ?
Concernant les élections perdues auxquelles vous faites allusion, c’est un peu comme si j’entreprenais l’ascension du Mont Blanc et qu’arrivé à 3000 mètres, je me rendais compte que je n’y arriverai pas. Il faut être suicidaire pour continuer… Il n’y a plus d’air, plus d’oxygène et les gens ne comptent plus sur vous. Donc il faut aller ailleurs, réfléchir à être utile sur d’autres versants. C’est ce que je fais aujourd’hui.
Et comment avez-vous obtenu ce poste à l’étranger ?
En tant qu’ancien ministre, je suis tout simplement allé voir Laurent Fabius en lui disant que j’étais intéressé par un métier de la diplomatie. Et voilà, le ministère des Affaires étrangères m’a proposé, hors champs politique, d’être à la tête de l’Institut culturel du Portugal et conseiller culturel auprès de l’ambassadeur à Lisboa.
On vous attendait peut-être davantage dans un pays du Maghreb – d’où vos parents sont originaires – ou dans un pays anglo-saxon, vous qui avez enseigné aux Etats-Unis…
Vous savez, j’essaye de me surprendre moi-même. Le ministère des Affaires étrangères m’a proposé plusieurs postes, en Russie, au Canada, en Afrique du Sud,… Mais mon choix s’est tout de suite tourné vers le Portugal. Dans les cités, j’ai grandi avec des Portugais et tous nourrissaient la nostalgie de leur pays d’origine, tout comme moi avec l’Algérie. C’est d’ailleurs un pays proche de l’Afrique et dont le vocabulaire est parsemé de noms qui rappellent la présence arabe au Portugal : «Alcântara», «Alfama», «Albufeira»… C’est un pays qui m’est donc très proche culturellement, mais aussi culinairement, olfactivement… Mais plus que ça, c’est un pays qui atteint à peine 10 millions d’habitants – soit la ville de Paris et son pourtour – et la qualité de vie y est exceptionnelle et inégalée en Europe.
« Au Portugal, il n’y a pas de délit de faciès pour les gens qui ont la même « gueule » que moi »
Vous connaissiez Lisbonne et le Portugal ?
Non, pratiquement pas. Mais il s’avère que c’est un pays qui me va comme un gant ! Ici, il n’y a pas de parti extrémiste comme le Front National et, surtout, pas de délit de faciès pour les gens qui ont la même ‘’gueule » que moi. Et ça offre un invraisemblable sentiment de légèreté pour moi qui, après avoir passé 55 ans en France, ai toujours été lesté par cette charge. Quand je suis en France, je suis un arabe, quand bien même j’ai été ministre ! Je suis un arabe ! Ici, c’est exactement le contraire, puisque je ressemble aux Portugais. D’ailleurs, je dis que je m’appelle Pedro, et ça passe très bien ! (rires)
Vous occupez deux postes : vous êtes à la fois directeur de l’Institut français du Portugal et conseiller de coopération et d’action culturelle auprès de l’ambassadeur. En quoi diffèrent-ils ?
Avec l’Institut français, nous sommes dans l’action culturelle. Par exemple, la figure la plus emblématique de la présence française au Portugal, c’est la fête du cinéma français qui se déroule au mois d’octobre de chaque année. Nous célébrerons la 15ème édition cette année. Dans une dizaine de villes, des films français sont diffusés, et il y a une magnifique ambiance festive autour de ces films. Ici à Lisbonne, les longs-métrages sont diffusés dans un très grand cinéma, le Saint Georges, qui est plein à chaque fois ! Les trois quarts de la visibilité française c’est ça ! De l’autre coté, il y a la coopération. Plein d’équipes de théâtre, de cinéma portugais, qui n’ont pas besoin de nous pour exister, sollicite un partenariat, un coup de pouce de la France pour faire vivre leurs actions. Nous sommes donc là aussi pour les aider, dans le cadre de la coopération.
Quel est votre objectif ?
Il faut partir d’un constat : aujourd’hui, les jeunes Portugais ne parlent plus du tout le français, alors que leurs parents le maîtrisent tous parce qu’à l’époque, la langue était obligatoire. Désormais, le français est largement en-dessous de l’anglais ou de l’espagnol. On a perdu à peu près toute notre influence auprès des jeunes Portugais. Notre mission, avec l’ambassadeur, est donc de rendre sa place à la langue française afin de légitimer la présence de notre pays ici, qui est importante, et notamment sur le plan économique.
Les jeunes pensent que le français est barbant, difficile et arrogant ! Il faut absolument casser toutes ces images négatives et faire de la France et du français quelque chose de festif, de joyeux, d’attirant, au même titre que l’espagnol. Aujourd’hui, l’Espagne est associée à la fête, à la sangria, au Real Madrid, au FC Barcelone, des trucs de fou quoi ! Qui attirent tous les jeunes ! Voilà donc l’enjeu de la linguistique dans ce pays qui pointe à la dernière place européenne en terme de consommation culturelle…
« J’ai une bande dessinée qui sort en mai »
Justement, ce n’est pas trop difficile d’avoir comme mission de faire rayonner la France à travers la culture dans un pays qui en est très peu consommateur ?
Non, c’est un super challenge au contraire ! La prise de risque, c’est ce qui m’anime ! M’installer en terrain conquis, ça ne m’intéresse pas, c’est trop facile. Et puis, il y a des raisons d’être optimiste. Regardez par exemple : chaque année, 150 000 jeunes portugais quittent le pays. Il y a un filon à exploiter, en faisant vivre l’idée de la francophonie et en expliquant aux jeunes Portugais que s’ils maîtrisent notre langue, ce n’est pas seulement en France qu’ils peuvent aller, mais dans dix, vingt, trente pays !
Comment organisez-vous vos journées ?
Déjà pendant deux mois, je me suis attelé à la tâche de refaire tout l’Institut. J’ai changé le mobilier, la peinture, j’ai cassé pas mal de choses, notamment pour ouvrir la bibliothèque. Bref, je voulais marquer ce lieu de mon empreinte et faire en sorte qu’il soit plus chaleureux et accueillant. Et ça marche ! Depuis des mois, il y a de plus en plus de gens qui viennent à la cafétéria et qui consomment.
Je rencontre également énormément de gens liés à la culture – des écrivains, des peintres, des artistes divers – qui viennent me rencontrer pour voir comment nous pouvons collaborer.
J’ai aussi la charge d’organiser des événements. Il y a bien sûr la fête du cinéma français, qui est un peu notre «feu d’artifice» final. Mais avant, nous avons les
fêtes de la francophonie ou encore une grande opération d’art urbain qui me tient beaucoup à coeur : le mois prochain, cinq grands «street artists» – trois portugais et deux français – vont façonner tout l’intérieur de l’Institut à leur image.
Et puis, je continue bien sûr à écrire. Au mois de mai, je vais sortir avec un dessinateur une bande dessinée sur l’émir Abd el-Kader, qui fut une grande figure de la résistance algérienne au XIXème siècle, du temps de la colonisation française.
«Tout ce que je prépare, ça foire toujours !»
Parlons de votre avenir. La semaine dernière, le gouvernement français a révélé sa feuille de route pour l’intégration des immigrés et la lutte contre les discriminations ; parmi ces mesures, il y a la création d’un délégué interministériel à l’égalité républicaine et à l’intégration. Et vous avez annoncé votre candidature sur twitter il y a quelques jours …
(Il coupe) J’ai dit au Premier ministre, Jean-Marc Ayrault, que j’étais frustré car, pendant des années, j’ai préparé tout ça. Donc je suis naturellement candidat pour poursuivre mon travail, parce que je me sens aujourd’hui en mesure d’occuper cette responsabilité : j’ai un âge mur, je suis expert sur toutes ces questions et mon passé plaide pour moi ! De toute façon, s’ils envoient un haut fonctionnaire, ils vont se casser la gueule.
Vous avez donc appelé Jean-Marc Ayrault pour lui signifier votre candidature ?
Non. Enfin, ce qui doit se faire se fera. J’ai quelques contacts… J’espère surtout que les socialistes ne se montreront pas trop sectaires et qu’ils ne décideront pas de faire leur petite tambouille entre eux… J’espère vraiment, sinon ce serait une vraie catastrophe…
Mais quid alors de ce poste à Lisbonne pour lequel vous semblez très impliqué ?
Moi, je suis là jusqu’à la fin de l’année 2015. Et puis après… Mais, vous savez, je déteste planifier ma vie. Par exemple, je ne sais jamais où je vais partir en vacances, je ne fais jamais de réservation dans les hôtels, ce n’est pas mon truc. De toute façon, tout ce que je prépare, ça foire toujours ! »
Propos recueillis
par Antoine MAGNAN