A cause de la crise mais aussi par conviction, de plus en plus de jeunes diplômés portugais cultivent la terre. Bousculant ainsi les codes du métier et suscitant des fantasmes.
Luis Alves est paysan. Mais il est aussi ingénieur agricole, ancien jardinier en chef du grand jardin botanique de Porto et chroniqueur régulier dans une émission sur la principale chaîne de télévision du Portugal. Sa ferme ? Dix hectares sur la commune de Porto sur lesquels on trouve un lac, un ruisseau, une boutique, des serres ultra modernes et des champs plastifiés et irrigués par ordinateur. Plus
de 300 000 euros de chiffre d’affaires, des produits exportés à l’étranger, des visites guidées pour les touristes et une production : les plantes aromatiques et médicinales.
A 80 kilomètres de là, dans la région d’Amarante, Barbara Adriao, 33 ans, cultive ces mêmes plantes au milieu des montagnes. Menthe, thym, citronnelle, verveine, mélisse, elle travaille au milieu des odeurs de plantes séchées, avec le bruit d’un ruisseau en contrebas. Là aussi, des champs plastifiés et irrigués par tuyaux, une serre moderne où les jeunes pousses sont délicatement soignées et une jeune femme qui se décrit comme « 50 % paysanne, 50 % businesswoman ».
Barbara et Luis ne sont pas des cas isolés. Ils l’étaient il y a encore quelques années, mais désormais l’agriculture attire des nouveaux jeunes. A cause de la crise bien sûr. « Entre 2008 et 2011, il y a eu cinq ou six nouveaux cultivateurs de plantes. Depuis 2011, on compte 200 nouveaux projets », explique Luis. C’est vrai pour les plantes aromatiques, mais aussi pour la culture de champignons, ou encore de fruits rouges. Rien que pour la myrtille, on compte 700 producteurs au Portugal, contre 100 en 2008.
Les Portugais ne retournent pas à la terre
Il n’en fallait pas plus pour que l’expression soit lâchée par de nombreux médias : les Portugais retournent à la terre. Rien n’est plus faux. En 2013, on a compté 50 000 agriculteurs de moins qu’en 2012. L’explication du fantasme est assez simple : la tendance est à contre-courant d’une lame de fond lancée il y a des décennies, et les nouveaux venus sont plus visibles car ils ont un profil bien particulier. Il y a Luis, et Barbara, tous deux ingénieurs agronomes. Mais il y a aussi Barbara et Pedro, respectivement journaliste et architecte. Ou encore Miguel, vétérinaire, et Pedro, lui aussi architecte.
Tous cultivent des plantes aromatiques. Et beaucoup les exportent vers la France pour qu’elles soient séchées et revendues dans le monde entier. C’est Tijlbert Vink qui les reçoit et les transforme au fond de la vallée de la Drôme : « Il y a encore deux ans, ce camion portugais ne serait pas arrivé, rappelle-t-il. Il est le fruit du travail de diplômés portugais qui ne trouvaient pas de travail, qui sont retournés sur des lopins de terre de leurs familles, et qui font un travail de grande qualité sur des toutes petites surfaces. »
Cool mais laborieux
Petites surfaces, qualité, exportation, une nouvelle agriculture est en marche, bien aidée par une Union européenne généreuse (elle finance largement ces projets d’investissement, jusqu’à 80 000 euros). « On n’a pas la taille pour lutter contre des gros et leur production de masse. Alors on joue sur la qualité et la valeur ajoutée de produits bien spécifiques », précise Luis. Avec cependant une volonté de grossir suffisamment pour compter : « A plusieurs, on peut se payer des camions pour exporter nos productions, et on peut s’entraider pour s’améliorer. »
Grossir ? Normal pour ces nouveaux paysans, qui assument être des entrepreneurs « avec des mains propres, mais sans cravate, précise Luis en souriant. Les gens commencent enfin à comprendre qu’un paysan peut avoir toutes ses dents », poursuit-il hilare. Une tendance que Barbara résume en quelques mots : « On donne une image plus cool du métier. »
Cette image nouvelle vient aussi des convictions des nouveaux paysans. La plupart cultivent en bio. S’ils assument l’avoir choisi pour pouvoir vendre plus cher et survivre au milieu de l’agriculture intensive, ce type de culture répond aussi à des valeurs : protection de l’environnement, production et consommation locales, maintien de l’activité dans leur pays. « Ici, j’élève ma fille dans un environnement sain. Je montre aussi qu’il existe un avenir pour les jeunes dans ce pays », conclut Luis. Un parcours pourtant semé d’embûches : « On donne une image romantique du métier », reconnaît Barbara, dont l’exploitation est située dans un lieu à faire rêver tout citadin en mal de nature « Mais passée l’euphorie de l’installation, beaucoup échouent ». Cool ou pas, l’agriculture reste un métier difficile, et dehors, c’est souvent la crise ou l’exil qui attendent les trop grands rêveurs.
Vincent GRIMAULT