« Un sans-abri, un ami », c’est le slogan de l’association Conversa Amiga, qui a vu le jour en 2007. Son fondateur et président, Duarte Paiva, se rend dans les rues de la capitale portugaise, en compagnie de volontaires, pour partager quelques heures de conversation avec les sans-abri.
Il est 21 heures. Les volontaires de l’association finissent leur café et leurs cigarettes, avant d’entamer la ronde nocturne. « C’est un moment que nous prenons avant chaque opération, parce qu’il faut y aller parfaitement détendu ! », explique Cristina, une volontaire arrivée dans l’association depuis six mois.
Les sans-abri, installés devant le théâtre national Dona Maria II, sur la grande place de Rossio, repèrent de loin les gilets jaunes fuo revêtus par les membres de l’association. A leur arrivée, certains se lèvent, enthousiastes, d’autres leur adressent un grand sourire. « Il est important de créer un rituel, c’est pourquoi nous venons un samedi sur deux », affirme Duarte Paiva.
Ce rituel est très important pour certains. Hugo, un médecin qui fait partie de l’opération subsidiaire « Saude No Rua » (« Santé dans la rue ») raconte : « Souvent, les sans-abri s’habillent pour nous recevoir… Comme on recevrait un ami. »
Du thé pour établir une relation amicale
L’un des volontaires installe le thermos sous les imposantes colonnes du théâtre, où les sans-abri ont élu domicile pour se protéger des intempéries. Le gobelet de thé est la marque de fabrique de l’association : chaque volontaire approche un sans-abri avec le breuvage comme signe de paix.
Paulo est dans la rue depuis une dizaine d’années. Il a connu l’armée, avec laquelle il a combattu en Bosnie dans les années 1990. Il montre fièrement aux volontaires tous ses tatouages. Raconte son histoire d’une voix éraillée par trop de cigarettes. Le petit homme prend Cristina dans ses bras à plusieurs reprises. La volontaire, aux petites lunettes et cheveux grisonnants, raconte que, lors de l’opération précédente, leur mission a échoué car les clochards avaient beaucoup bu. « Ca rend la communication très difficile parce qu’ils deviennent très rapidement agressifs, s’attriste-t-elle. Nous sommes aussi là pour essayer de les maintenir en bonne santé et cela passe souvent par la conversation. »
Selon Duarte, le fondateur et président de l’association, le plus important est d’écouter ce qu’ils ont à dire : « Une fois, il y a quelques années, j’ai apporté un verre de thé à un sans-abri qui ne voulait pas du tout me parler, se souvient ce petit brun aux yeux bleus. Il a fini par me parler pendant deux heures… du fait qu’il ne voulait pas me parler. »
Duarte Paiva a un sens du bénévolat bien particulier. Chacun des volontaires de l’association suit des cours théoriques et pratiques pour savoir comment réagir lors de la mission. « Il est important de comprendre ce que l’on fait, explique-t-il, il ne faut pas le faire pour se donner bonne conscience, parce que sinon ça ne sert à rien. »
Voilà pourquoi, avant chaque mission, les 70 volontaires recrutés par l’opération « Um Sem Abrigo, Um Amigo » se donnent rendez-vous dans une salle prêtée par l’Eglise du quartier d’Odiveilas, en périphérie de la capitale. « Ca n’a rien de religieux, se défend Duarte, c’est juste un local que l’église consent à nous prêter. »
Se battre contre la solitude et l’exclusion
Ce soir-là, Duarte attire l’attention de l’assemblée sur un point crucial : « Il est important de faire attention à leurs affaires, même si, pour vous, cela ressemble à des déchets, ce sont ses seuls biens personnels, donc il faut y faire très attention. »
Duarte Paiva a fondé Conversa Amiga après s’être rendu compte que les sans-abri ont parfois simplement besoin de mettre des mots sur leur détresse : « Un jour, j’ai apporté de la nourriture à des gens qui vivaient dans la rue. Ils semblaient reconnaissants mais m’ont parus encore plus heureux après que je me suis assis deux heures pour parler avec eux », se rappelle Duarte. Il sait qu’il n’a pas les moyens de sortir tous les SDF de la rue mais il veut essayer de leur rendre le quotidien moins difficile. Et c’est le credo de l’association : se battre contre la solitude et l’exclusion.
Réfléchir à ses actions
Voici pourquoi, en novembre 2013, ont été créés les « cacifos solidàrios », 12 casiers attribués à des SDF rencontrés dans le cadre de l’opération « Um Sem Abrigo Um Amigo ». Encore au stade de pilote, le projet – dont une petite partie a été financée par la mairie – a été entièrement conçu et pensé par Duarte : « On s’est rendus compte que les sans-abri mettent des choses de très grande valeur, comme des photos de famille ou un diplôme, dans leur casier », se réjouit-il.
La seule obligation : prendre soin de l’endroit et ne pas endommager les casiers. A terme, il voudrait confier ce projet à un autre bénévole parce qu’il est conscient que, s’il se consacre à un projet, « il ne fera plus que ça ». Mais, pour Duarte, ce n’est pas suffisant : il a encore plus d’un tour dans son sac.
Alexia ELIZABETH
Pas d’associations publiques à Lisbonne
Si les sans-abris sont plutôt bien aidés par des associations qui leur apportent nourriture et soins, les interventions publiques (comme le groupement d’intérêt public « Samu social de Paris », par exemple) n’existent pas au Portugal.
Certaines grosses associations comme Santa Casa reçoivent de l’argent de la part de l’État. Pour autant ce ne sont pas des associations publiques.
Conversa Amiga est une petite association mais son concept est unique en son genre. Elle est financée par des dons. Elle reçoit aussi des financements de la part de la municipalité (notamment pour les casiers) mais ces sommes restent assez dérisoires. Duarte Paiva se bat pour recevoir plus d’argent afin que le projet « Casiers Solidaires » ne reste pas à l’état de pilote. La municipalité souhaiterait quant à elle, acheter le projet, ce que Duarte refuse.
A. E.