Difficile de les louper : ils sont près de 4 000 à Lisbonne, souvent tagués, les portes et fenêtres murées jusqu’au plafond. Ces immeubles abandonnés, à l’architecture recherchée, entourent les quartiers lisboètes d’un soupçon de mystère. Pourtant la situation immobilière de la ville n’a rien d’ésotérique.
Ces bâtiments aux sols et murs qui s’effritent sont dangereux. Un balcon du quatrième étage d’un immeuble abandonné
vient de s’effondrer sur la voie publique près du métro Picoas. Mais surtout ils sont vides et constituent une niche immobilière dans le centre-ville, convoités par de plus en plus d’habitants de la ceinture périphérique.
C’est pour faire face à cette crise du logement que la mairie de Lisbonne a créé un département de réhabilitation urbaine. Son directeur, l’architecte Paulo Pais, évoque « une situation compliquée car ce département n’a pas assez d’argent pour rénover tous les immeubles ». Il a pourtant annoncé un objectif qu’il juge lui-même « ambitieux » : réhabiliter près de 10 000 appartements abandonnés ces prochaines années. « On ne détruit jamais pour reconstruire dans
le centre-ville,
Une démission des propriétaires
Les raisons de cet abandon par les propriétaires sont multiples et parfois assez obscures, laissant transparaitre une certaine forme de résignation. Souvent construits dans le centre-ville (Baixa) et dans le centre historique (le Chiado et le Rossio), les bâtiments sont des vestiges de l’ère salazariste, acquis lorsqu’une politique de loyers fixes encourageait l’achat de biens immobiliers. Mais, à la chute de la dictature, certains de ces propriétaires ont fui le territoire portugais. La dévaluation progressive des prix a contraint les autres à ne pas mener des travaux de réfection, pourtant nécessaires au fil des décennies.
L’important incendie dans le quartier du Chiado, en 1988, a aussi contribué à l’abandon de certains immeubles, très abîmés par les flammes.
Aujourd’hui, nombre de ces propriétaires sont décédés et leurs héritiers, souvent multiples, demeurent engagés dans des batailles juridiques longues et délicates, afin de déterminer l’avenir de ces immeubles.
Ces bâtiments délabrés représentent aussi « un problème de sécurité », d’après l’architecte. Les briques utilisées pour condamner les entrées servent également à solidifier des façades de plus en plus chancelantes. Dans une autre mesure, elles permettent d’éviter les squats et les feux que les sans abri avaient pris l’habitude d’allumer dans les halls.
15 % des logements abandonnés
Aujourd’hui, le constat est sans appel : 15 % des bâtiments de la ville sont abandonnés. En 2007, l’État portugais a créé une loi obligeant les propriétaires à rénover. Le cas échéant, ils doivent payer
une taxe foncière annuelle deux fois plus élevée. Si le logement, en plus d’être vide, est en mauvais état, cette taxe est multipliée par trois. Autre solution, « la loi octroie à la mairie un pouvoir de substitution qui impose aux propriétaires de financer les travaux qu’elle décide d’engager, explique Paulo Pais. Mais il est courant que certains propriétaires ne payent pas. »
La municipalité de Lisbonne mène ainsi des interventions de réhabilitation quartier par quartier, depuis deux ans, et annonce des résultats déjà positifs. A la Mouraria par exemple, au sud-est de la ville, le paysage a radicalement changé pour devenir plus paisible. La réhabilitation, combinée à un programme social, a éradiqué prostituées, trafics de drogue et records de criminalité.
Malgré ces mesures encore embryonnaires, les silhouettes voutées de ces vieux bâtiments continuent à ternir l’image de Lisbonne.
Texte et Photos, Iris PERON