Les clubs portugais vivent à crédit : plusieurs ont fait faillite ces dernières années et beaucoup peinent à payer leurs joueurs… Loin des salaires records de stars comme Cristiano Ronaldo, visite dans l’arrière-cour déshéritée du « futebol ».
Des vestiaires inondés par la tempête « Stéphanie », des sièges cassés, des arbres qui poussent dans les travées et une pelouse à l’abandon : bienvenue au stade José Gomes, à Amadora, dans la banlieue de Lisbonne. Jorge Pereira da Silva, socio (abonné actionnaire) de l’ancien club résident, l’Estrela da Amadora, joue au guide dans l’enceinte désaffectée : « Regardez derrière la vitre : on voit les coupes et les médailles du club ! » Au palmarès : une Coupe du Portugal en 1990, un titre de champion de deuxième Division en 1993 et 15 saisons en Liga.
Impossible de s’approcher de ces trophées : comme le stade, ils ont été saisis au moment de la faillite, en 2011. La vente des lieux doit servir à rembourser les créanciers de l’ancien club professionnel, dont la dette se chiffrait au moment de la liquidation à 20 millions d’euros : des prêts, des taxes et impôts impayés… Mais aussi des arriérés de salaires des joueurs.
« Ils me doivent environ 30 000 euros…, assure le footballeur sénégalais Deme N’Diaye, qui a joué à Amadora entre 2006 et 2009. La dernière saison, j’ai passé sept mois sans être payé. Avant, j’envoyais de l’argent à mes parents au Sénégal pour les aider… Ils ont dû m’en renvoyer pour que je fasse mes courses au Portugal », raconte le footballeur qui joue aujourd’hui au RC Lens.
« C’était très triste de voir notre club mourir, se souvient Jorge Pereira. Mais nous n’avions que deux possibilités : soit pleurer en regardant les trophées et les
vidéos d’autrefois, soit lancer un nouveau club. » Avec une quinzaine de socios, ils choisissent la deuxième option. Ils créent une nouvelle entité juridique et repartent de zéro…
Alors que l’ancien club jouait en Liga Sagres, la première Division portugaise, leur nouvelle structure, 100 % amateur, n’a même pas d’équipe senior : le « Clube de Desportivo Estrela » est une « école
de foot » et les joueurs de l’équipe fanion ont 14 ans… A défaut de stade, ils s’entraînent sur le terrain synthétique d’un quartier d’Amadora. Le stade de 9 000 places, lui, périclite : seule une équipe de vétérans y dispute, très occasionnellement, des matches amateurs.
Adossé aux préfabriqués qui font office de vestiaires, le nouveau président, António Franca se désole : « L’Estrela da Amadora comptait environ 500 licenciés… Aujourd’hui, il y en a 120. Nous progressons mais nos meilleurs jeunes nous quittent pour les clubs pro voisins. Après
chaque derby, les dirigeants de Belenenses (dont l’équipe première joue en Liga Sagres, ndlr.) recrutent nos joueurs les plus talentueux. »
Sept faillites de clubs pro depuis 2002
L’histoire de l’Estrela da Amadora n’a rien d’exceptionnel au Portugal. Les dettes des clubs – à quelques exceptions près – sont considérables et
les arriérés de salaires sont monnaie courante… A tel point que les grèves de joueurs sont devenues fréquentes. Et les faillites ne sont pas rares : on en compte sept depuis 2002.
« Le Championnat portugais est très hétérogène, explique l’économiste du sport Domingos Amaral. Les trois grands
clubs, Porto, Benfica et le Sporting, accaparent les trois quarts des revenus générés par le football professionnel. »
Comment le foot portugais en est-il arrivé là ? Domingos Amaral pointe plusieurs facteurs : la petite taille du pays d’abord – tous les clubs ne peuvent remplir leur stade – mais aussi la faiblesse des droits TV reversés aux clubs. « Les droits sont négociés individuellement et la chaîne qui retransmet le foot, Sport TV, est en quasi situation de monopole… Donc les prix sont beaucoup trop bas », explique Domingos Amaral.
Plus largement, il fustige l’amateurisme qui règne encore dans le football portugais. « Avec le système des socios, les dirigeants sont élus par les supporters… Ils se comportent donc comme des supporters : de manière irrationnelle ! Ils voient trop grand, font des dépenses démesurées… Et se retrouvent incapables de payer leurs joueurs », regrette-t-il.
Pour éviter ces problèmes de gestion, la Ligue portugaise a, enfin, pris des mesures : elle a instauré la saison dernière un système de contrôle de budgets des clubs, similaire à celui qui existe en France depuis la création de la DNCG… En 1984. Mais pour Domingos Amaral, ça ne suffira pas : « les clubs bricolent leurs budgets juste avant le contrôle… Ils n’ont pas perdu cette habitude de payer au lance-pierres. »
Jean SAINT-MARC
Trois grands clubs mais un petit championnat
Au classement UEFA, le Portugal pointe à la cinquième place : devant la France, sixième. Mais malgré les bons résultats des clubs portugais dans les compétitions européennes, la Liga Sagres reste un petit Championnat européen, loin du « Big Five » : Angleterre, Allemagne, Italie, Espagne et France. « Le budget moyen des clubs portugais est très faible », explique le journaliste français Nicolas Vilas, spécialiste du football portugais. Le salaire moyen des footballeurs portugais (5 000 € mensuels) est huit fois plus faible que le salaire moyen en Ligue 1 (40 000 €). Et ils ne sont pas toujours versés, si bien que le président du syndicat des joueurs, Joaquim Evangelista, a l’habitude d’affirmer que « les joueurs, à part quelques situations exceptionnelles, vivent dans leur majorité les mêmes problèmes que la plupart des Portugais »
J.S.-M.