Environ 150 militaires se sont regroupés jeudi soir à Lisbonne pour protester contre les restrictions mises en place par le gouvernement soutenu par la troïka.
Une armée de parapluies sombres stationne sur la place Camões. Les militaires de la marine, de l’armée de l’air et de l’armée de terre sont réunis pour protester contre la réduction de leurs privilèges. Les trois associations qui les représentent sont sur place : l’Association Nationale des Sergents (ANS), l’Association des officiers des forces armées (AOFA) et l’Association des Marins (l’AP).
Entre quelques poignées de mains, Lima Coelho, 54 ans, le président de l’ANS, explique : « Nous protestons tout d’abord contre les réformes opérées en matière de santé car les hôpitaux de la marine et de l’armée de terre ont été fermés. » Plusieurs militaires présents au rassemblement racontent qu’aujourd’hui, l’hôpital de l’armée de l’air, qui peut normalement recevoir 8000 personnes, accueille depuis environ un an tous les militaires, c’est-à-dire entre 20 et 25000 patients. « Le gouvernement fait les choses dans l’urgence au lieu de penser au long terme, s’insurge Lima Coelho, ça n’est bénéfique pour personne. »
Alors que les militaires ont pour devoir de faire attention à leur santé, ils refusent de se voir traités comme des fonctionnaires comme les autres. Le Président de l’ANS ne veut pas non plus avoir à se préoccuper de la santé de sa femme et de ses enfants lorsqu’il est en mission. Or, selon lui, aujourd’hui, les familles de militaires payent moins cher en allant se faire soigner dans une clinique privée que dans un hôpital de l’armée. Un comble pour ce sergent-chef qui s’est engagé dans l’armée à 19 ans.
Beaucoup de militaires retraités sont venus écouter les discours des présidents d’association ce soir-là. Et pour cause, certains d’entre eux ont vu leur pension diminuée de 30 %. Simoes, 72 ans, général retraité de l’armée de l’air, raconte qu’un de ses anciens frères d’armes a été renvoyé de son logement car sa pension ne suffisait plus à le payer.
Enfin, les militaires portugais protestent contre la diminution du budget alloué à la formation. « Certains cours ne sont plus dispensés dans les écoles et les entraînements sont moins fréquents », explique Antonio Videra, 61, retraité de la Marine nationale. De plus, le gouvernement souhaite regrouper les trois académies militaires -terre, mer et marine- en une seule grande unité. « Mais nos dirigeants vont trop vite, rien n’est prêt, comme pour l’hôpital. Nous devons être préparés pour aller nous battre, or, l’Etat nous enlève tous nos moyens matériels », souligne Lima Coelho, président de l’ANS depuis 2000.
Alors que leurs salaires ont déjà été réduits parfois de 200 à 300 euros, les militaires portugais refusent de se plier à de nouvelles réductions budgétaires. Parmi elles, la cotisation extraordinaire de solidarité (CES), un impôt que payent tous les fonctionnaires. Instaurée temporairement en 2009, elle est aujourd’hui toujours en place et ponctionne jusqu’à 10% des revenus.
Bataille pour la démocratie
Selon Antonio Videra, ce rassemblement est une démonstration « de courage ». Même si les militaires ont le droit de manifester en civil au Portugal, le service de renseignement portugais est présent pour ficher les protestataires. Lima Coelho, le président de l’ANS, a d’ailleurs déjà été assigné à résidence à deux reprises et mis quelques jours dans une prison militaire pour avoir exprimé son opinion dans les médias. « L’Etat nous envoie prôner des valeurs à travers le monde, mais nous n’en profitons même pas nous mêmes, souligne Lima Coelho. Ce sont pourtant les militaires qui ont donné le pouvoir à la population pendant la révolution de 1974. Aujourd’hui, le gouvernement ne nous rend pas cette démocratie. »
Les militaires ne s’arrêteront pas là. Ce jeudi, après avoir chanté l’hymne national portugais, ils ont réaffirmé leur position : « Não nos comformamos » (« on ne se résigne pas »), tel est leur mot d’ordre. Les militaires, les « faiseurs » de la démocratie portugaise il y a quarante ans, entendent bien se battre à nouveau contre le pouvoir central.
Alexia ELIZABETH et Maëlle KERGUÉNOU
France, Portugal, presque le même combat
Au Portugal comme en France, les syndicats de militaires sont interdits. Selon le Code de la défense français, ils sont considérés comme « incompatibles avec les règles de la discipline militaire », ainsi que le droit de grève, « incompatible avec l’état militaire ».
Mais au Portugal, depuis la loi du 29 août 2001, les associations de défense des intérêts socio-professionnels des militaires et de leurs familles sont autorisées. Séminaires sur les conditions de travail dans l’armée, groupes de réflexion, information aux adhérents sur leurs droits : leurs actions sont multiples. Après avoir combattu avec acharnement dans les années 90 pour obtenir ce statut, l’Association nationale des sergents compte aujourd’hui près de 6 000 adhérents.
En France au contraire, « l’adhésion des militaires en activité de service à des groupements professionnels » est interdite, au même titre que l’activité syndicale.A.E. et M.K.