Depuis la mort de son père en 1976, il attend, patiemment. Duarte Pio de Bragança, duc de Bragance, est l’héritier du trône du Portugal sous le nom de Duarte III.
« Monseigneur Duarte de Bragança, cela a-t-il encore un sens d’être monarchiste aujourd’hui alors que le Parti populaire monarchiste (PPM) a fait 0,27 % aux dernières élections législatives ?
Bien sûr. Parce que la démocratie – l’État moderne – est beaucoup mieux protégée par un roi que par un politicien. Les monarchistes défendent l’idée que le chef d’Etat doit être un roi, issu de la famille royale, pour qu’il soit garant du fonctionnement des institutions politiques. Mais aussi le garant des valeurs permanentes et c’est là la différence : tandis qu’un président de la République se préoccupe des quatre années de son mandat, puis de sa réélection, le roi se préoccupe du futur, du long terme. C’est pour ça que, dans un sondage fait il y a six ans, on a demandé aux gens s’ils pensaient que ça serait mieux pour le Portugal d’avoir un roi plutôt qu’un président de la République : 29 % avaient répondu oui.
Près d’un tiers de la population, donc.
Oui. Récemment, un sondage a été fait par la Commission du centenaire de la République en 2010. La question était « êtes-vous républicain ? ». 40 % ont répondu que non. Ils n’ont pas dit qu’ils étaient royalistes mais qu’ils n’étaient pas républicains. Et comme il n’y a pas beaucoup d’anarchistes au Portugal, je pense que les non-républicains sont royalistes (rires).
Vous venez de parler de « valeurs permanentes ». Pouvez-vous préciser cette idée ?
L’environnement, la culture… (pensif) L’identité nationale. C’est physique et spirituel. Par exemple, une des valeurs portugaises depuis le Moyen-Âge, c’est la tolérance et l’ouverture au monde, qui a fait que pendant des siècles, on avait énormément de Portugais qui étaient africains, sud-américains… et pourtant ils étaient portugais, sans distinction.
« Le roi a quelque chose en plus que la République n’a pas. C’est un juge, un arbitre, un pouvoir indépendant »
L’objection que l’on peut apporter, c’est vous dire que « ça, c’était du temps des colonies ». Aujourd’hui, si Duarte de Bragança monte sur le trône, qu’est-ce que ça peut changer pour les Portugais ?
C’est pour cela que j’ai parlé de valeurs permanentes. Jusqu’à récemment, les riches et les pauvres vivaient ensemble. Les gens se connaissaient, avaient une solidarité. Aujourd’hui, on se met à expulser les pauvres vers la périphérie et les immigrés sont regroupés dans les mêmes quartiers. La classe politique a complètement perdu de vue ces valeurs. Tout cela est très mauvais pour la solidarité nationale.
Être roi est une fonction avant tout symbolique ?
Non. Le roi doit être profondément ancré dans la réalité de son pays. Depuis 1910, le Portugal a connu trois républiques. Si aucune n’a marché, c’est parce que le chef d’Etat était un membre de la classe politique. Il ne peut donc pas contrôler ni aider le gouvernement. Dans les autres royaumes européens et de forme discrète, le roi ou la reine a une influence positive : il aide les partis à faire des accords entre eux, les avertit quand ils font des choses dangereuses… C’est un pouvoir modérateur qui peut être très utile pour la démocratie. Je pense toujours à une phrase qu’avait eu le Premier ministre suédois lors des 60 ans du roi. Il s’était adressé à lui en disant « Majesté, notre Parti socialiste a toujours été un parti républicain et nous le sommes encore. Mais nous avons compris que vous étiez le meilleur défenseur de la République ». Le roi a quelque chose en plus que la République n’a pas. C’est un juge, un arbitre, un pouvoir indépendant qui peut aider à la normalisation de la vie politique.
Le roi doit donc être le garde-fou de la classe politique chargée de gérer le pays.
Exactement.
Et vous pensez que les Portugais sont prêts à accepter le « folklore » ? L’étiquette ?
Je pense que oui. Comme je l’ai dit, 40 % de Portugais affirment « je ne suis pas républicain » et 70 % disent qu’ils sont prêts à financer une demeure pour la famille royale. Ça veut dire qu’une majorité de Portugais, même s’ils ne sont pas royalistes, trouvent que c’est utile d’avoir une famille royale. Ça fait partie de l’histoire, ça peut être utile dans certaines circonstances : j’ai par exemple pu aider lors de la crise du Timor [en 1975, l’Indonésie avait envahi le Timor oriental après le départ des Portugais], grâce à ma position.
« Face à l’UE, les monarchies sont sûres de leur identité, tandis qu’en république, on a toujours très peur »
Et sont-ils prêts à accepter l’idée que votre légitimité provienne de votre naissance ? L’inégalité entre le roi et l’individu lambda est un argument qui revient systématiquement dans ce genre de débat.
Dans la République, ça arrive aussi. Il y a des familles qui sont propriétaires depuis des générations. Il y a des ministres dans le gouvernement actuel dont le grand-père était déjà ministre… Mêmes si elles sont injustes, les inégalités sont inévitables. On ne peut pas dire « tout le monde a le droit d’être chef d’Etat ». Parce que ce n’est pas possible. On l’a vu ici, il y a eu des candidats extraordinairement bons pour être chef d’Etat, comme Fernando Nobre [docteur, président de l’Association médicale internationale, candidat à la présidentielle de 2011]. Il était de loin le meilleur, mais il n’a fait que 15 %. Pourquoi ? Parce qu’aucun parti ne l’a appuyé. Or pour qu’un parti puisse soutenir une campagne, il lui faut de l’argent qui provienne des milieux financiers et privés, avec ce que ça suppose comme faveur en retour… Une fois élu, il sera au mieux otage, au pire mercenaire.
Vous parlez des différents monarques européens… Au Portugal, l’Union européenne n’est pas très populaire [seul 38% de la population approuve le leadership européen]. Une monarchie portugaise pourrait-elle réconcilier les Portugais avec l’UE ?
Oui. Les cours belges, luxembourgeoises, suédoises… sont toutes très « europositives« . Tous les monarques, en général, aiment l’Europe. Car ils n’ont pas peur que leur pays perde leur âme et leur identité. Face à l’UE, les monarchies sont sûres de leur identité, tandis qu’en république – comme au Portugal –, on a toujours très peur. On dit ‘’Bruxelles va organiser notre vie, va dire ce qu’on doit faire »…
En début d’entretien, vous avez expliqué que « le roi se préoccupe du futur ». Vous avez trois enfants, de 17, 16 et 14 ans. Comment les éduquez-vous ? Si la question n’est pas trop personnelle.
Ma femme et moi, nous voulons d’abord qu’ils soient heureux, équilibrés. Qu’ils soient toujours disposés à
servir la communauté et le pays. Mais on les éduque aussi dans le sens où ils ont une responsabilité différente des autres Portugais, parce qu’ils doivent être disponibles pour servir le pays par une charge officielle si le pays les appelle. Il y a des choses que peut-être ils aimeraient faire mais qu’ils ne doivent pas faire car cela compromettrait leur disponibilité. Par exemple, si mon fils entrait dans un parti politique, il ne pourrait plus être accepté comme chef de la maison royale et éventuellement roi.
Donc, si jamais un de vos fils veut devenir disons analyste financier dans une entreprise privée, vous refuserez ?
Oui. Sauf si c’est utile pour le Portugal.
Quand on est fils du Duc de Bragance, on n’a donc pas le choix : il faut servir le Portugal.
Le Portugal et la communauté portugaise. Je serais un peu ennuyé si mes enfants voulaient travailler à l’étranger. Je veux qu’ils soient capables de travailler au Portugal pour être utiles au pays et envers leur prochain.
Vous attendez depuis 37 ans, pensez-vous qu’un jour vous serez roi ?
Ça pourrait arriver. Quand tout va bien, que les gens sont contents, que les retraites sont payées, on ne veut pas changer. Mais aujourd’hui, les gens sont malheureux, l’économie n’est pas bonne et les jeunes vont moins bien vivre que leurs parents, une première depuis la Seconde Guerre mondiale. C’est donc un moment pour les gens de se demander si le système politique nous a bien servi ou si c’est lui qui nous a conduit à cette situation. »
Propos recueillis par Constantin de VERGENNES