La crise frappe fort au Portugal, où le taux de chômage atteint 15,4 %. Cela a modifié la « clientèle » de la CAIS, une association de soutien et d’éducation des citoyens les plus vulnérables, qui mélange désormais aux habituels ex-toxicomanes des familles et des gens éduqués. Rencontres.
Ex-manager : devenir laveur de voitures, un rêve
Nuno Madruga, 53 ans, raconte son histoire de chômage dans un anglais incertain appris récemment chez CAIS. Une association qui essaie de donner aux précaires les compétences nécessaires pour trouver un emploi et mettre fin à la spirale infernale.
Avec un regard intense Nuno Madruga explique qu’il n’a pas eu de travail depuis quatre ans.
« Le restaurant où je travaillais a été racheté et j’ai perdu mon emploi. C’était un grand choc pour moi et mes collègues. Après j’ai dû déménager et j’ai vendu ma voiture, ma télé et d’autres choses pour payer mes factures et pour manger », dit-il. Nuno Madruga vivait seul depuis son divorce mais il a dû déménager pour aller vivre avec un ami pour partager le loyer. Quatre années très dures qui n’ont pas totalement affecté sa détermination.
« En avril je vais suivre une formation pour apprendre à laver des voitures et j’espère pouvoir retrouver du travail. J’y crois. Je suis optimiste, toujours optimiste », dit-il. « Ici au Portugal, les gens comme moi sont trop vieux pour travailler et trop jeunes pour la retraite. Alors qu’est-ce que je peux faire ? Il me reste 12 ans à attendre. Mais j’ai confiance, je vais trouver un travail », se rassure-t-il.
Il manque l’argent… et le reste
Au début, Antonio Vida, 47 ans, essayait de réagir, mais maintenant le coeur n’y est plus. Après l’envoi d’un nombre incalculable de demandes d’emploi pendant quatre ans, il est toujours au chômage.
« Je ne pensais pas me retrouver un jour ici. Je suis triste et déprimé, mais.. » dit-il sans finir sa phrase. Antonio Vida est maçon depuis l’âge de 25 ans. Mais depuis que la crise économique a frappé le Portugal, le nombre de chantiers de construction a chuté, et les 35 personnes de son entreprise ont été congédiées.
« Au début, je n’étais pas trop inquiet. Je pensais que c’était temporaire. Mais une année s’est écoulée, puis deux, puis trois, puis quatre, et maintenant je ne suis plus aussi optimiste » dit-il. Avant d’ajouter : « La crise a frappé très durement ma profession. Et mon âge n’aide pas non plus ».
En raison du chômage, Antonio Vida lui aussi a dû quitter son logement pour habiter avec deux autres personnes après avoir, comme beaucoup, vendu tous ses biens. « En plus de l’argent que je n’ai pas, c’est très dur psychologiquement. Avant j’avais tout. Maintenant je n’ai plus rien », dit-il. Pour l’instant, il tente d’acquérir une nouvelle formation grâce à CAIS où il bénéficie d’un repas supplémentaire alors qu’il ne mangeait qu’une fois par jour.
« Je voudrais avoir un emploi, mais j’ai dû démissionner »
Son plus grand souhait est d’avoir un travail. Mais il y a deux ans, Neusa Conceicao, 37 ans, a elle-même quitté son emploi de femme de ménage dans une usine de verre. « Le patron était violent, et même si je voulais continuer à travailler, j’ai dû partir », dit-elle en regardant la table.
Elle tripote ses ongles en continuant son histoire. Après son départ de l’usine elle est tombée en dépression et a dû être soignée. Mais voilà six mois qu’elle ne prend plus de médicaments.
« Maintenant ça va mieux. Mais j’aimerais avoir un travail », dit-elle. La scolarité de Neusa Conceicao n’a duré que six ans. « Je suis à la recherche de travail comme aide de cuisine, femme de ménage, peu importe. Je n’ai pas peur de travailler », dit-elle.
Son compagnon, Carlos Almeida, est lui aussi au chômage. Tous les deux s’inquiètent de l’avenir de leur fils de six ans. Il y a deux ans, Carlos, 43 ans, a travaillé dans une usine de tabac où il s’occupait de la maintenance des moteurs. Mais avec la crise économique, la concurrence pour produire bon marché s’est intensifiée et son usine a perdu des commandes. Il s’est retrouvé sans travail. Aujourd’hui Carlos Almeida cherche un emploi dans l’électronique. « J’attends des réponses d’employeurs. Je suis en attente de jours meilleurs mais je ne vois pas de signes d’amélioration », constate-t-il.
« C’est ennuyeux et insupportable d’être sans travail »
La demande de mojitos et de sangria est devenue de moins en moins grande avec la crise. Pedro Miguel Silva a été viré après avoir travaillé dix ans comme barman. à la maison à ne rien faire
A 41 ans il espère retrouver du travail comme serveur, un métier qu’il connaît depuis l’âge de 16 ans. « Je ne pense pas que je puisse retrouver un emploi dans un avenir proche et j’ai le moral au plus bas. C’est ennuyeux et insupportable de rester
Pedro Miguel Silva vit avec sa femme et ses deux enfants. Au début il est venu à CAIS pour profiter de la cantine offerte à certaines personnes dans le besoin.
Il apporte tous les jours le déjeuner et le dîner à sa famille. Sa femme travaille dans une usine mais, même comme ça, il est difficile de joindre les deux bouts.
Son fils enlevé, sa plus grande motivation à trouver un emploi
Maria Joao Silva, 44 ans, n’a jamais travaillé plus de six mois d’affilée. Les employeurs lui ont
rarement accordé des contrats de longue durée. La faute à la drogue ? Depuis plus de dix ans, elle est « clean » et brûle maintenant d’envie de trouver un emploi solide afin de retrouver des conditions de vie décentes et récupérer la garde de son fils. Il lui a été enlevé sur décision administrative alors qu’il était âgé de deux ans et demi. Aujourd’hui, il en a six.
« Maintenant j’essaye de trouver un emploi dans le nettoyage ou un restaurant, j’essaie de sauter sur toutes les occasions qui se présentent. Toujours en pensant à mon fils », dit-elle.
Maria Joao a commencé à consommer de la drogue à 15 ans. « Je me sentais vide. J’ai manqué d’affection de la part de mes parents. J’ai été élevée par ma grand-mère. Ma mère travaillait ailleurs et lui envoyait de l’argent », explique-t-elle.
Avec six années de scolarité elle a réussi à obtenir des emplois dans les restaurants, les cafés, dans le secteur du nettoyage et dans un supermarché. Mais depuis 2011, elle n’a plus rien.
« L’espoir est le dernier à mourir »
Ce ne fut pas une surprise pour Jorge Manuel Ferrerira, 33 ans, d’être congédié il y a quatre ans. Le supermarché où il travaillait avait déjà fermé deux autres magasins de la chaîne. « Je m´y attendais, je savais qu’un jour ce serait mon tour », dit-il. Jorge Manuel n’a pas de qualifications. Il a commencé à travailler à l’âge de 16 ans. Il a fait toute sorte de petit boulots. Ces quatre dernières années au chômage, il a tout fait pour trouver un emploi – par poste, téléphone, par e-mail et en se déplacant chez les employeurs, sans succès.
« Je suis prêt à prendre n’importe quoi. J’ai aussi envisagé un travail de saisonnier en France mais j’ai peur que le contrat ne soit pas respecté. J’ai entendu de drôles d’histoires à ce sujet », assure-t-il. Sa femme aussi est au chômage. La situation du couple n’est pas facile car elle a accouché il y a trois mois. « La seule chose à laquelle je pense c’est l’argent, afin que nous puissions élever notre enfant », dit Jorg avant d’ajouter : « je ne pense retrouver un emploi dans l’immédiat mais l’espoir est toujours le dernier à mourir ».
L’association CAIS
CAIS est une association qui existe depuis 20 ans dans le but d’aider les personnes vulnérables à résoudre leurs problèmes sociaux ou à sortir du chômage. L’association a été fondée par un groupe de personnes dont une journaliste et un médecin pour permettre aux défavorisés de se réinsérer. CAIS offre des cours d’anglais, d’informatique, entre autres, mais aussi de yoga ainsi que des rencontres avec un psychologue.
En même temps, elle dispense des cours dans des domaines spécifiques comme le lavage de voiture. Le plus grand partenaire de CAIS est l’Etat, mais il y a également un certain nombre de partenaires privés. CAIS coopère aussi avec la Santa Casa pour distribuer de la nourriture aux plus démunis.Mathilde GRAVERSEN
Mathilde GRAVERSEN