Il traverse les coins les plus charmants de Lisbonne et semble tout droit sorti de l’avant-guerre. Le tramway 28 est l’image d’Epinal de la capitale portugaise. Il a même été choisi pour illustrer The Lisbonomist. Deux bonnes raisons pour aller en faire un tour.
Il s’affiche sur les cartes postales et en couverture des guides touristiques. Impensable de séjourner à Lisbonne sans écumer l’ensemble de sa ligne. On ne grimpe pas les rues de la capitale sans entendre son grondement… Le tramway 28, l‘Electrico, est l’icône, l’emblème, l’âme de la cité du bord du Tage.
Une sorte de miracle
« On y trouve beaucoup de touristes mais aussi pas mal de Lisboètes », explique Garbus, qui tente le baragouinage d’un français approximatif derrière ses cheveux bruns et sa très courte barbe. Dans son dos, une fière rangée de retraités moustachus jette un œil placide à travers les vitres. On n’échappe pas non plus à l’adolescente perdue dans Candy Crush. Ni au couple français scindé en une ligne de fracture cinglante : l’un dans les pages du Routard, l’autre dans le plan détachable du même guide.
Construits au tout début du XXe siècle, les
tramways ont accompagné la modernisation de la ville aux sept collines. A juste titre, ils ont été considérés comme le moyen idéal de grimper les côtes et de se faufiler dans l’étroitesse des rues, parvenant difficilement à trancher l’Alfama sans se cogner aux murs, à zigzaguer entre les obstacles du Chiado, à gravir le Bairro Alto. Parfois, le tramway s’arrête. La pente est à 15 degrés. Et ce petit bout d’histoire nargue, goguenard, les lois de la gravité.
Comment ce miracle est-il possible ? « Il y a environ 10 accidents par mois et 10 accidents graves par an en raison de son parcours tortueux », tempère Garbus, qui a décidé de passer à l’anglais.
Incontournable
« Hey ! Toi aussi tu veux t’encanailler en « ridant » les tramways de la ville ? Alors fais
comme nous : pars à la rencontre de l’habitant, il te dira peut-être comment faire. Bon je te laisse, j’ai un avion à prendre. Ciiiao ! »
C’est Anthony qui parle. Accroché au tram depuis l’extérieur, il est filmé par son pote Jeremy, qui a passé la caméra à travers la fenêtre. Au milieu d’un tour du monde effectué pour France 4, ils font escale à Lisbonne. Une vidéo dans le 28, c’était incontournable.
Plus sages, Alaric et Gwen, couple belge d’une quarantaine d’années, regardent le paysage défiler à l’arrière du wagon. « On ne sait pas trop où l’on va. On est arrivé hier pour visiter », expliquent-ils. Un séjour touristique dans la capitale portugaise, ça commence par le 28.
Gentlemen pickpockets
Une faune comme celle-ci attire forcément un autre spécimen : le pickpocket. « On les reconnaît tout de suite : ils sont habillés comme les touristes mais ont les yeux tournés vers les poches des passagers », raconte Fernandes, jeune chauffeur un brin hipster qu’on imagine sans problème dans l’une des discothèques au bord du Tage. L’homme est un phénomène, un sniper du pickpocket : « Vous voyez ce tram qui arrive en sens inverse ? Il y a un voleur juste à côté du conducteur. » Ah oui, quand même.
Plusieurs incidents se produisent chaque jour, surtout entre 17 et 18 heures. Il suffit au chauffeur d’appuyer sur un bouton pour prévenir directement la police, qui a toujours plusieurs hommes en embuscade. Si bien que la flânerie touristique côtoie la crispation de locaux
cramponnés à leur sac. A tort ou à raison : « On ne s’attaque pas aux vieilles personnes ni aux adultes avec enfant », certifie Garbus. Il y aurait donc une éthique du pickpocket portugais. Cet endroit n’est décidément pas comme les autres.
Michel BEZBAKH