Après deux ans de conflit et de grèves à répétition, les dockers du port de Lisbonne sont parvenus vendredi à un accord avec les représentants du patronat, mettant un sérieux coup de frein à la libéralisation de leur travail. Le port devrait retrouver une sérénité perdue depuis longtemps.
Le jour est historique. Lorsqu’Antonio Mariano pénètre, ce lundi 17 février, dans la salle de réunion du syndicat des dockers lisboètes, il sait qu’il vient de remporter une partie importante. Souriant, presque goguenard, le président vient annoncer à la vingtaine de journalistes présents les résultats de la négociation qui a eu lieu trois jours plus tôt, le vendredi 14 février au port de Lisbonne, entre le patronat et les syndicats.
Chasse aux statuts protégés
En jeu, la résolution du conflit qui oppose les trois cents dockers lisboètes aux autorités depuis deux ans. Début 2012, le gouvernement, appuyé par le Fonds monétaire international (FMI), avait voté une loi favorisant les emplois intermittents non qualifiés et les contrats de travail temporaire. Car les dockers, employés par l’Association-entreprise des travailleurs portuaires (AEPT, statut de droit privé), jouissaient jusqu’ici d’un statut protégé, grâce notamment à l’exigence d’une qualification spécifique. Mais l’apparition de la société Porlis dans la foulée de la décision, qui emploie des ouvriers non qualifiés, avait « dégradé les conditions sociales d’emploi des dockers » et « menacé la sécurité de tous », selon le syndicat.
« Un jour très important pour la lutte des dockers portugais »
Assis devant la banderole bleue du Conseil international des dockers (IDC) barrée du slogan « Solidarité avec les dockers portugais », Antonio Mariano égraine les clauses de l’accord et s’enorgueillit : « Ce 14 février marque un jour très important pour la lutte des dockers portugais. » Il constitue aussi un succès pour la mobilisation syndicale internationale qui s’est mise en branle sous l’impulsion de l’IDC. « Pour l’IDC et les dockers européens, c’est la confirmation que la solidarité internationale peut contribuer à débloquer des conflits enkystés depuis longtemps », se réjouit l’organisation.
Pourtant, rien n’était joué dans le bâtiment Vasco de Gama, ce 14 février. Plus de six heures ont été nécessaires pour aboutir à un accord qui, en huit points, consacre la réussite des vues du syndicat. Parmi les points centraux, la réintégration de quarante-sept dockers licenciés l’année dernière : dix-huit seront repris en contrat à durée indéterminée (CDI), les vingt-neuf autres en contrat temporaire. Quant à Porlis, elle ne pourra plus employer de nouveaux travailleurs tant que la négociation sur une nouvelle convention collective, aussi prévue par le texte, n’aura pas abouti.
« Cet accord est très satisfaisant car il met fin à la grève et va permettre la paix sociale pour le port », se félicite Carlos Trigo, directeur d’AETP. Mais, « l’idéal pour tout le monde serait qu’un nouvel accord sur la convention collective puisse être trouvé d’ici septembre [échéance prévue par le texte] », nuance-t-il.
Des grèves interminables
En deux ans de conflit, le port de Lisbonne a souffert. Les grèves se sont succédé, de durée et d’intensité variables. Parfois, les dockers cessaient le travail une heure par jour ; ou alors quittaient tout simplement le port à l’arrivée des travailleurs non-qualifiés de Porlis. Au port, on s’en était lassé depuis longtemps. S’il a connu une hausse d’activité de 8% en 2013 avec 5 465 000 tonnes après la crise, « la perte d’activité a été significative avec la grève », explique Paulo Henriques, de la direction des terminaux portuaires du port de Lisbonne. « Certains porte-conteneurs ont dû poursuivre leur route jusqu’au port suivant, et d’autres n’étaient déchargés qu’à moitié, ce qui agaçait prodigieusement les armateurs », déplore-t-il, ajoutant que « les opérateurs ne peuvent être compétitifs avec les conditions actuelles d’emploi des dockers ».
Un succès fragile ?
Lucide, Antonio Mariano sait combien ce succès est fragile dans un contexte favorable au démantèlement des statuts protégés. « Nous savons qu’il reste beaucoup de chemin à parcourir et que cet accord n’est pas un coup de baguette magique qui résoudrait tous les problèmes », tempère ainsi le président du syndicat.
Du côté de l’IDC, on ne boude pas son plaisir. Le port de Lisbonne cristallisait, depuis deux ans, des tensions qui concernent quasiment tous les grands ports européens. Avec la crise, les ports de Lisbonne et Aveiro, situé plus au nord, étaient même devenus des laboratoires, où le gouvernement et les entreprises privées tentaient de mettre en œuvre une dynamique de libéralisation inédite sur les docks mais représentative du climat ambiant depuis trois ans dans le pays. L’accord signé vendredi stipule que les parties reconnaissent que cet accord garantit la paix sociale et implique donc la levée de toutes les luttes en cours. A Lisbonne, c’est une première depuis 2012. Antonio Mariano peut afficher un large sourire. En attendant la prochaine mobilisation, ici ou ailleurs.
Youness BOUSENNA et Sébastien CHAVIGNER