Une suite de hasards et de rencontres improbables ont fait de Zé, alias X-Acto (prononcer « Shizato ») l’un des DJs incontournables du Tuga rap. Depuis, il bosse avec des types trop défoncés pour se lever et d’autres qui prient dans les loges.
« Fais pas attention à mon immeuble, c’est le Kosovo ! » C’est chez Rodrigo « Rodric » Duarte, un organisateur de concerts hip-hop rencontré en soirée que j’avais rendez-vous avec DJ X-Acto.
Rodric, est non seulement l’un des meilleurs potes de X-Acto mais aussi un locataire lucide. La répartition aléatoire des marches de son escalier évoque la dentition clairsemée d’un toxicomane sur le retour. Cependant Rodric sait recevoir « Tu as faim ? Prends du fromage, il est super bon. C’est entre le fromage de chèvre et le lait, on appelle ça « fresh cheese ». J’ai de « l’alheira » aussi. En fait, c’est une saucisse de volaille que les juifs ont inventé à l’époque où l’Eglise catholique les persécutait. Ils mangeaient ça pour faire genre : « Tu vois je mange du porc, je ne suis pas juif. Pas con hein ? » » C’est donc la bouche pleine, et emplis d’admiration pour l’astuce des enfants d’Israël, que X-Acto et moi avons commencé à parler musique.

« Zé » n’est pas seulement un « turntablist » de génie mais aussi un homme simple que le fromage réjouit. (Camille Garnier / CFJ)
En commençant naturellement par sa rencontre avec le Hip-Hop : « Quand j’avais 8, 9 ans j’avais le câble ce qui était plutôt rare pour l’époque. Du coup je regardais l’émission « MTV Yo ! ». Je pense que la première fois c’était ça, à l’époque je ne connaissais absolument personne qui écoutait du rap. Le premier scratch que j’ai entendu c’était sur le morceau « Rock It » d’Herbie Hancock. »
Skateboard et robots de l’espace
Mais le déclic réel pour X-Acto viendra plus tard. « En fait c’est par le skateboard que je me suis vraiment intéressé au rap. Il y avait cette émission qui s’appelait « Portugal Radical ». Un jour, je me rappelle très bien, ils ont passé cette vidéo de l’un de mes skateurs préférés, Ricardo Fonseca. Et la musique de fond c’était « Insane in the brain » de Cypress Hill. Je me suis dit « Ok, c’est ça ! » ». Comme beaucoup des skateurs qui s’intéressent au rap, X-Acto a grandi à l’abri du besoin et loin du ghetto « C’est pour ça que j’ai adoré « Intergalactic » des Beastie Boys, ce morceau m’a montré que le rap n’était pas forcément un truc de gangsters, que l’on pouvait parler de robots de l’espace, ou de n’importe quel truc. Ça m’a vraiment convaincu de m’y intéresser. »

Pour se trouver DJ X-Acto n’a pas eu besoin d’une conseillère d’orientation. La bande-son d’une vidéo de skate a suffit. (Ricardo Duarte DR)
La solitude des sommets
X-Acto part étudier aux USA. Il s’achète des platines, commence à produire et scratcher. De retour au Portugal commence une longue série de rencontres qui lui ouvriront les portes du Tuga rap. « A l’époque je scratchais mais n’avait aucun contact dans ce milieu. Et puis un jour, j’ai dit à un pote que je voulais vendre mes platines pour en acheter de nouvelles. Il m’a dit qu’il connaissait quelqu’un qui serait intéressé. Le mec rappait. Il m’a acheté mes platines et on a créé un groupe. On a a pas fait une seule scène mais les gens du quartier ont commencé à entendre parler d’un dj qui se débrouillait, c’était moi. Du coup, de plus en plus de MCs m’ont contacté. »
X-Acto enchaîne festivals et production d’albums. Et commence à se faire un nom. Au point d’être sollicité par les plus grands. « En 2008, le rappeur Valete (voir « Les voix du Tuga » 1/4 ), qui est vraiment une légende ici, m’a appelé. J’ai fait une scène avec lui. Il voulait quelqu’un qui puisse faire quelque chose de complexe, avec de la vidéo et des instruments. En fait, le truc était tellement difficile que ses musiciens l’ont laché au dernier moment. On s’est retrouvé à gérer seuls ce concert énorme de deux heures avec des vidéos et des scratchs. A partir de là j’étais à un autre niveau. »
Une reconnaissance à double tranchant. « En fait c’était bizarre. Les gens ont arrêté de m’appeler parce qu’il pensait que j’étais ce gros Dj et que j’allais leur demander beaucoup de thune pour bosser avec moi. Alors que tout ce que je voulais c’était faire de la bonne musique. Comme Valete ne tournait pas beaucoup je me suis retrouvé comme un con. »

Zé a passé sa vie à persuader des MCs impétueux de faire des choses raisonnables. Pour ça et d’autres choses, il mérite notre respect. (Camille Garnier / CFJ)
En dépit de ce regrettable malentendu, X-Acto devient une plaque tournante du rap portugais. Il multiplie les projets, rencontre le succès et aussi quelques galères. « C’est parfois compliqué de bosser avec des rappeurs. Je tournais avec ce duo qui s’appelait « K-7 Squad ». Un jour à un quart d’heure du concert l’un des deux gars était tellement « high » qu’il s’est vomi dessus. Il était allongé par terre et il n’arrivait même plus à se relever, j’étais furieux. Finalement l’un de ses potes lui a filé un t-shirt et l’a littéralement porté jusqu’à la scène. Le plus dingue c’est qu’il a fait le concert, je ne comprends toujours pas comment. Cela dit ce n’était pas son meilleur.»
« Me and my niggaz »
Aux limites bien naturelles de la tolérance humaine face aux psychotropes s’ajoutent parfois les contrariétés matérielles « Une autre fois, toujours avec eux, on devait faire un concert dans une école. C’était vraiment pourri. Tout était pourri : la salle, les lumières…Bref, je branche l’ampli qu’ils m’avaient filé et le truc commence à crépiter et prendre feu. C’était la dernière fois que l’on a bossé ensemble. »
En fait, pour X-Acto, le facteur « foirage » chez le rappeur peut s’expliquer par un raisonnement quasi-bourdieusien : « Le problème, ce n’est pas le rappeur, c’est les gens autour. Chaque rappeur qui réussit connait au moins un type qui ne sait rien faire mais qui l’a aidé lorsqu’il était en galère. Souvent, il en connait dix. Alors il en fait ses managers ou quelque chose du genre, et ces dix mecs se retrouvent à le suivre partout, à prendre des décisions sur des choses auxquelles ils ne connaissent rien. C’est ce
dont Tupac parle quand il dit « Me and my niggaz ». »

« Rodric » et « Zé » sont deux grands enfants. Le Hip-Hop est leur putain de bac à sable. ( Camille Garnier / CFJ)
Faisant fi de cette théorie de l’emmerdement maximum si chère au Hip-Hop, X-Acto continue son parcours aussi hasardeux que prolifique au sein de la scène Tuga, et travaille sur une foule de projets bandants. Puisque l’on avait fini le fromage et fait le tour de ses non moins savoureuses anecdotes, je lui ai demandé de me parler de quelques-uns de ses morceaux avant de se quitter :
Grog Nation– Deep Cover (2014)
« C’est un groupe de 5 jeunes qui cartonne. Ils ont ce côté « meute » qui les rend spéciaux. Ils m’ont appelé il y a quelques semaines et m’ont dit qu’ils voulaient qu’on bosse ensemble. Le soir même ils sont passés chez moi. Je pensais qu’on allait parler de ce qu’ils voulaient faire, trouver des pistes. Au lieu de ça , ils se sont pointés surexcités avec ce morceau sous le
bras, les a capelas et les pistes. Ils m’ont dit qu’ils tournaient le clip le lendemain et qu’il leur fallait les scratchs le soir même. C’est le genre de trucs que je déteste. Du coup j’ai bossé en une heure et demie. Au final je m’en suis bien sorti et le morceau est carrément bon. »
Kilù – Simplesmente (2011)
« Kilù est un des MCs les plus sous-estimés du Tuga rap. J’étais très honoré qu’il fasse appel à moi. Je ne sais pas trop pourquoi il m’a appelé. Je crois qu’on s’était croisé à un festival de jazz et qu’on avait parlé un peu de nos visions de la musique. C’est le genre de morceau planant, qui te donne
envie de t’allonger dans l’herbe, il parle de la nature, des arbres et tout ce genre de trucs. D’ailleurs c’est marrant parce que je sais que Kilù a dû faire les vendanges en France pour gagner un peu d’argent. Quand je te dis qu’il est sous-estimé… »
MC Ary – Vencer (feat. Filipe Goncalves) (2014)
« MC Ary est un rappeur très chrétien. Il parle beaucoup de religion dans ses textes, mais ça ne me dérange pas car il ne cherche pas à convertir qui que ce soit. Il parle juste de ce qui l’émeut. Ce sont des paroles très fortes. Pour être honnête, j’ai déjà pleuré en écoutant ses morceaux. Lorsqu’on fait une scène ensemble il prie toujours avant, dans les loges. Une fois, il m’a demandé de lui prendre la main et de prier avec lui. Et je l’ai fait car je souhaitais sincèrement que l’on soit ensemble et que l’on fasse de la bonne musique. C’est peut-être cliché de dire ça, mais au fond le Hip-Hop est notre religion à tous. Il rassemble plein de gens autour de valeurs communes pour accomplir quelque chose de positif : du type qui fait des instrus au fond de sa chambre, à celui qui chante devant des milliers de personnes. Une religion ça n’est rien de plus pour moi. »
Camille GARNIER