« Mets plus de sauce sur ta dinde, c’est ce qui fait la différence ! » A table comme au studio, le rappeur Valete est du genre généreux. Rencontre.
En plus de quinze années d’activité, Valete a écrit une large part de l’histoire du rap «Tuga», le rap portugais. Nous l’avons rencontré dans un petit resto, en bas du block où il vit, dans la banlieue pourrie de Damaia. Entre deux croquettes de thon et une viande en sauce, il nous a parlé de la naissance du mouvement Hip-Hop dans son pays, de sa lecture d’Hegel, et de son Jésus homosexuel.
« Valete n’est pas ton vrai nom. Pourquoi l’avoir choisi ?
Un jour, j’ai bloqué sur un reportage qui parlait de magie. Ils disaient que lorsqu’un magicien demande à quelqu’un de tirer une carte pour un tour, si c’est un valet cela indique que le tour va échouer. C’est une sorte de superstition qui veut que le valet soit celui qui fasse disparaitre l’illusion. La métaphore m’a plu.
Peux-tu nous dire quelques mots sur tes débuts ?
J’ai découvert le rap au début des années 1990 avec les pires trucs : MC Hammer, Vanilla Ice, le genre de conneries qui passait à la radio. Un de mes cousins organisait des concerts underground où les Djs jouaient des sons que l’on n’entendait pas ailleurs. Un jour, il m’a ramené l’album de Public Enemy et un single de Run DMC. C’était en 1992 et la scène portugaise commençait juste à se former. L’année suivante est sorti le premier album de rap en langue portugaise, celui du MC brésilien Gabriel o Pensador. Ce disque a eu une influence énorme ici, il a inspiré tout le monde. Et puis, en 1994, est sorti le premier album de rap portugais, une compilation qui réunissait les meilleurs MC’s du pays. A partir de là, j’allais à tous les concerts et, en 1997, j’ai commencé à rapper. J’avais 16 ans. Je faisais des morceaux pour des mixtapes, des petits concerts… D’ailleurs, à ces concerts, je crois que 90 % du public était des rappeurs. C’était encore un tout petit mouvement, une communauté très soudée.
En 2002, tu sors ton premier album, « Educaçao Visual », en indépendant.
Il y avait tout un mouvement de rappeurs et de labels indépendants qui apparaissaient. Au même moment, les magasins Frac se multipliaient au Portugal et il était assez facile d’y placer son disque. Produire cet album ne m’a pas coûté trop cher parce que tout était enregistré chez des potes. Ce sont eux qui m’ont proposé de le faire. J’enregistrais dans le studio d’un ami DJ. Cet album, je l’ai fait sans me prendre la tête, pour le plaisir. Et puis à l’époque, le rap était encore un petit monde. La première année, j’ai dû en vendre 500 copies, j’étais vraiment heureux de pouvoir toucher tant de gens. Aujourd’hui, « Educaçao Visual », c’est 10 000 exemplaires. J’ai continué en parallèle mes études en science de la communication. C’était facile parce que, à l’époque, j’enregistrais 4 ou 5 morceaux par an, je ne faisais pas beaucoup de concerts. Jusqu’en 2002, au Portugal, il n’y avait qu’un ou deux albums de rap par an. Maintenant, tous les jeunes en écoutent et une vingtaine d’albums sortent chaque année.
Quelle fut ta réaction à ce succès inattendu ?
C’était étrange, soudain je recevais beaucoup de messages de gens partout dans le pays. Il y a eu ce moment où je me suis demandé si je devais arrêter de bosser pour me concentrer sur la musique. J’avais fini mes études et je travaillais pour une société de câbles électriques. En fait, c’est le second album « Serviço Publico » qui m’a permis de faire ce choix. Alors je me suis trouvé un manager, un label pour gérer mes affaires et essayer de devenir professionnel. Je ne le suis que depuis 2011. C’est une chose rare, nous ne sommes qu’une dizaine dans le rap portugais à vivre de notre musique.
« Si la différence entre le poète et le rappeur, c’est que le poète est vulnérable, j’emmerde le rap, je veux être un poète »
Dans tes morceaux, on entend beaucoup de musique organique, des teintes de jazz. As-tu voulu en faire ta marque ?
C’est drôle en fait, je crois que c’est ma plus grande faiblesse. J’aime le jazz oui, mais je pense que je n’ai pas assez imprimé de patte aux prods que j’utilisais jusqu’ici car j’étais trop concentré sur les textes. Beaucoup de mes sons étaient trop pauvres et manquaient d’une ligne directrice. Quand tu écoutes Dr.Dre, Dj Premier ou Jay Dilla, tu les reconnais tout de suite. C’est ce que je veux construire avec « Homo Libero » mon prochain album qui sortira en Octobre.
Il est rare dans le milieu hip-hop de reconnaître une faiblesse…
L’artiste américain Saul Williams a dit un jour que ce qui faisait la différence entre le poète et le rappeur c’est que le poète est vulnérable. Si c’est vrai j’emmerde le rap, je veux être un poète.
« Ce qui compte c’est le talent et la valeur artistique. Si tu veux faire du gangsta rap et parler de flingues fais-le, mais fais-le bien. »
Tu es ce que l’on appelle un rappeur conscient, penses-tu que les rappeurs doivent donner l’exemple ?
Ce que je pense, c’est que le rap se doit de refléter la société. La société est faite de gangsters, de gens stupides et intelligents. Moi je suis un rappeur conscient ou plutôt progressiste, dans le sens où je veux transformer la société. Mais je tiens à l’idée qu’il y ait de tout dans notre musique, qu’elle ne cache aucun aspect de ce que nous vivons. Il y a différents styles de rap ici
au Portugal, des choses festives, d’autres très sombres. Ce qui compte, c’est le talent et la valeur artistique. Si tu veux faire du gangsta rap et parler de flingues, fais-le, mais fais-le bien. Mon album favori, c’est «Doggy Style» de Snoop Dogg ; c’est plein d’histoires de maquereaux et de putes, c’est loin d’être du rap conscient mais c’est très bon musicalement. Je déteste les moralisateurs. Et puis,
dans chaque chose, il y a un équilibre, un yin et un yang.
Penses-tu que le rap soit une musique politique par essence ?
Non, d’ailleurs si l’on regarde l’histoire du rap américain, celui qui parle de politique a toujours été minoritaire. Le
rap est simplement une manière de voir les choses d’un autre point de vue. Je veux entendre cela. Je me mettre dans la peau d’un voyou, vivre avec lui l’expérience de la prison, par exemple. Mais je veux aussi entendre une femme me parler d’amour. Plus généralement, le prochain stade pour le hip-hop, selon moi, c’est de pouvoir toucher chacun, de la petite fille au vieillard. Le jour où cela arrivera, nous aurons atteint notre mission.
Tu as commencé à 16 ans, tu en as aujourd’hui 31. Comment ta musique a-t-elle évolué ?
C’est quelque chose de naturel qui s’est fait au fil du temps. Quand j’avais 20 ans, j’écrivais sur le droit de rêver, j’éructais contre tout ce qui pouvait limiter ma créativité ou me brider. J’étais révolté mais je n’allais pas beaucoup plus loin, aujourd’hui je pense différemment. Je fais partie d’un mouvement, d’un groupe
de personnes qui pensent que la société telle que nous la connaissons va bientôt exploser, et que nous ne pouvons pas continuer ainsi. J’essaie donc à mon niveau de contribuer à créer ce monde nouveau qui sera celui de demain. De voir ce que nous pouvons transformer. En vieillissant je suis davantage dans l’action que dans l’indignation et cela se sent dans mes textes.
Que faut-il transformer selon toi au Portugal ?
Il faut commencer par l’éducation car aujourd’hui les gens se plaignent de la crise mais ne comprennent pas ce qui se passe. Ils ne savent rien du F.M.I, de la Troïka ou de comment fonctionne l’Europe. A l’école, les jeunes apprennent les mathématiques et le portugais mais pas assez comment fonctionne la société dans laquelle ils vivent. A côté de ça, on réduit le budget de l’éducation publique et l’écart se creuse avec le privé. Cela agrandit les inégalités. Il faut changer le système scolaire et aller vers une démocratie plus participative.
« Les mômes du quartier ne savent même pas
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qui est le premier ministre, ils s’en tapent »
D’un point de vue extérieur, le peuple portugais peut sembler assez résigné face à la crise.
Le Portugais va à des manifestations dont il ne connait pas le sens, il ne sait rien à rien, les mômes du quartier ne savent même pas qui est le premier ministre, ils s’en tapent. J’ai l’impression que chacun est obsédé par son confort, ils veulent tous du foot et des télénovelas. C’est affreux. D’ailleurs la crise ne pousse pas les gens à se radicaliser. Les portugais sont tellement effrayés par le changement que, même quand tout va mal, ils préfèrent le statu quo.
Plus jeune, tu étais au parti communiste. Qu’as-tu tiré de cette expérience ?
L’idée que les partis sont la pire chose du monde. Qu’ils ne sont qu’un agglomérat d’individus motivés par des ambitions personnelles dont les frictions ne donnent rien de bon. Plus jeune, j’étais très marxiste et je pensais de manière idéologique. Depuis, j’ai eu la chance de voyager, notamment à Cuba. Là-bas, j’ai mis mes idées politiques à l’épreuve des faits. Je me suis aperçu qu’une idéologie bonne sur le papier ne vaut rien si dans la pratique les gens meurent de faim. Maintenant, je suis un homme libre mentalement.
« Mon Jésus personnel, il est indo-africain et homosexuel »
« Homo Libero », c’est justement le titre de ton prochain album. Que peux-tu nous en dire ?
Musicalement, il y aura une touche brésilienne car je travaille avec un producteur de là-bas qui sample beaucoup de Bossa Nova. Au niveau des thèmes, ce sera assez sombre. Il y a un morceau dont je sais déjà qu’il sera controversé car j’y évoque mon Jésus personnel. Il est indo-africain et homosexuel. Dans le rap, beaucoup de gens sont ignorants et je devine leur réaction quand ils entendront ce morceau. Mais ce n’est pas grave car nous marchons vers le progrès. Ces dernières années, beaucoup de choses ont avancé, même si c’est toujours trop lent. Je reste optimiste. Comme Hegel, je pense que, lorsque la théorie et son anti-théorie se confrontent, le progrès arrive. Malgré tout ce que je t’ai dit, je pense même que de la crise au Portugal quelque chose de positif peut naître. »
Propos recueillis par Camille GARNIER