Dejanirah Couto est historienne du monde lusophone, professeure à l’Ecole pratique des hautes études (EPHE) de Paris. Auteure d’une Histoire de Lisbonne (2000, Fayard), elle nous parle de la capitale portugaise d’hier et d’aujourd’hui, en insistant sur son passé ouvrier.
Lisbonne n’est plus la riche capitale d’un empire coloniale triomphant. La ville préfère se montrer fidèle à son héritage industriel. En dépit de la misère et des menaces de tremblement de terre, les Lisboètes restent attachés à un lieu authentique et traditionnel qu’ils protègent des assauts de la bourgeoisie. Rencontre avec une historienne passionnée par le sujet dans la plus grande bibliothèque lusophone de France, au cœur du VIIe Arrondissement de Paris.
« Dejanirah Couto, pourquoi insistez-vous autant sur l’héritage ouvrier de Lisbonne ?
Peu de gens savent que dans la deuxième partie du XIXe siècle, surtout dans les années 1870, la classe ouvrière portugaise était à la pointe en Europe. Marx lui-même pensait que la véritable révolution allait avoir lieu au Portugal. La gauche était d’un radicalisme extraordinaire. A tel point qu’en 1925, la dictature a été un moyen de casser ce mouvement ouvrier portugais extrêmement puissant au niveau de toute l’Europe.
Comment s’exprimait l’unité de ce mouvement ?
Cette classe ouvrière en construction se retrouvait autour d’associations « de secours mutuel », que l’on peut considérer comme des formes d’auto-défense. On trouvait énormément de clubs, dont certains sont devenus des équipes de football encore en activité aujourd’hui ! Il awc canadian pharmacy review y avait donc des activités politiques, mais aussi sociales, favorisées par des cités ouvrières construites en plein cœur de Lisbonne.
Ces cités sont-elles encore debout ?
Certaines, oui. Il y en a une dans funciona como viagra le quartier vision cialis de Graça, très connue. Elles ont été construites par un patronat très paternaliste, avec l’idée de bien installer les ouvriers dans la ville. C’était la pointe du progrès. Comme toutes les premières industries se sont concentrées sur Lisbonne, la classe ouvrière était vraiment dans la capitale.
Avec des conditions de vie très dures qui peuvent expliquer la tristesse que vous associez à la ville…
Oui, bien sûr. Ce n’était pas une ville qui roulait sur l’or. Les Portugais eux-mêmes considèrent encore aujourd’hui que la ville riche est Porto. C’est l’industrie du nord, avec des dynasties de grandes familles… Porto, c’est un peu l’équivalent de Bordeaux : on n’y affiche pas forcément sa richesse, mais elle est bien présente.
« Une notion de fatalisme »
L’opulence du XVIe siècle a progressivement disparu. Par exemple, le Bairro Alto était un quartier riche à l’époque coloniale avant de devenir un lieu mal famé au XIXe siècle. Comment l’expliquez-vous ?
Historiquement, Lisbonne s’est développée le long de la mer, à l’horizontal. Au XIXe siècle, avec le début de l’industrialisation, elle a suivi d’autres axes vers le nord. La création de nouvelles avenues et le problème des transports ont appauvri toutes les zones historiques du sud.
Et puis, il ne faut pas oublier la première ligne de fracture : le grand tremblement de terre de 1755. Le Bairro Alto d’aujourd’hui, c’est celui qui a été reconstruit juste après. Auparavant, on y trouvait la noblesse et ses grands palais.
Le tremblement de terre a donc marqué la fin de la Lisbonne riche telle qu’on la connaît aux XVIe et XVIIe siècle ?
En quelque
sorte, même si dans le Bairro Alto, on a essayé de reconstruire une zone élégante. C’est surtout au XIXe siècle que le quartier s’est appauvri jusqu’à devenir un lieu de marginalité avec beaucoup de prostitution. Mais le séisme a fait bouger les lignes, évidemment. C’est le plus violent de l’histoire de l’Europe. On évalue sa puissance à presque 9 sur l’échelle de Richter. Il a causé entre 8000 et 10000 morts. Toute la partie basse de la ville a été détruite. Avec le raz-de-marée qui a suivi, on a retrouvé des bateaux jusqu’en haut de l’avenue de la Liberté (à presque trois kilomètre dans les terres, ndlr) !
Cela veut dire qu’il pourrait y en avoir d’autres…
Il y en a tout le temps. La plaque de jonction entre l’Europe et l’Afrique passe par la vallée d’Alcantara, et donc par le centre de Lisbonne. C’est effrayant mais il faut le savoir !
Est-ce que cette vulnérabilité se répercute sur le comportement des Lisboètes aujourd’hui?
Oui, il y a un respect, une certaine notion de fatalisme… Pas de la résignation mais presque. On ressent cette précarité. Dans les chapelles, on trouve des ex-voto contre les tremblements de terre. Il y a toute une iconographie, toute une littérature, toute une tradition orale… Et un de ces jours, il va se passer quelque chose !
« Un esprit de la cité »
Ce risque de tremblement de terre explique-t-il que Lisbonne reste assez pauvre aujourd’hui dans son cœur historique ?
Pas vraiment, car la bourgeoisie cherche à s’installer dans cette ville magnifique. Elle se heurte aux habitants issus du monde ouvrier, très attachés à leur ville. Les populations pauvres résistent notamment parce qu’il y a un fort esprit de quartier, surtout dans celui de l’Alfama. Un esprit de la cité. Ces gens-là vivent avec très peu, vivent très mal, mais aiment beaucoup leur ville.
Il suffit de se promener un peu dans les rues pour sentir que Lisbonne est particulièrement vivante…
Certaines personnes ont reçu des offres immobilières intéressantes. On leur a proposé de beaux appartements à l’extérieur de la ville mais ils ont refusé, préférant un petit logement insalubre dans le centre. Ils y sont chez eux. Du coup, les populations jeunes et riches s’installent plutôt dans la partie orientale de la ville ; ils ne veulent pas côtoyer la pauvreté.
Cela dit, les modes de vie sont tout de même en train de changer. Jusque dans les années 1970, chaque immeuble avait une vie collective avec beaucoup de solidarité. Par exemple, il existait la soupe des pauvres. Une fois par semaine, les pauvres allaient sonner chez les gens au lieu de mendier dans la rue. Chaque immeuble avait « ses » pauvres et tous ses habitants se cotisaient pour les nourrir. On leur donnait canadian pharmacy and health mall du pain, du riz etc. Or je crains que cette forme de sociabilité n’existe plus, même s’il demeure encore beaucoup d’entraide entre les gens. »
Propos recueillis par Michel BEZBAKH