Manuela Tavares est universitaire, fondatrice de l’association UMAR (União de Mulheres Alternativa e Resposta) et auteure de nombreux ouvrages sur le féminisme. Elle revient sur le long parcours des Portugaises pour obtenir le droit à l’avortement.
« Manuela Tavares, comment est née la lutte des féministes
portugaises pour le droit à l’avortement ?
Les premières revendications ont émergé très tard. Sous la dictature de Salazar, le féminisme s’était endormi. Un premier sursaut a eu lieu en 1973 avec le livre Les Nouvelles Lettres Portugaises, écrit par Maria Isabel Barreno, Maria Teresa Horta et Maria Velho da Costa. Cet ouvrage a été censuré par le régime et les trois femmes ont été jugées pour outrage aux bonnes mœurs. Un mouvement de solidarité s’est alors formé autour d’elles au Portugal, mais aussi en France et en Espagne. Au moment de la Révolution des Oeillets, en 1974, les femmes ont abordé la question des droits reproductifs et sexuels, mais celle-ci s’est diluée dans la lutte commune. Pendant dix ans, des propositions de loi ont été déposées au Parlement, sans succès. Le premier pas vers la libéralisation de l’avortement a lieu en 1984 avec une loi qui l’autorise en cas de malformation du fœtus, de danger pour la vie de la femme ou de viol.
« Avec la crise, nous craignons la suppression du remboursement pour les interruptions volontaires de grossesse »
L’interruption volontaire de grossesse sera légalisée seulement 23 ans plus tard, en 2007. Pourquoi si tard ?
Pendant dix ans, un silence s’est installé autour de cette question. Des avortements clandestins avaient toujours lieu, mais pour le gouvernement la loi de 1984 était suffisante. Le débat a été relancé en 1994 par des groupes féministes qui ont lancé un mouvement de vaste ampleur pour donner aux femmes le droit de choisir. En 1997, une proposition de loi est approuvée par le Parlement. Le gouvernement a décidé de barrer ce processus législatif en soumettant la question de l’avortement au référendum. L’Eglise et les groupes opposés à l’avortement ont alors mené une campagne de choc, je dirais même de terreur, dans l’opinion publique. Ils distribuaient de petits poupons en disant : « La loi va tuer des enfants comme ça. » Le « non » l’a emporté et la proposition de loi a été enterrée. Pour nous, cela a été une grande désillusion. Entre 2000 et 2006, des femmes ont été jugées pour des avortements clandestins à Porto, Coimbra, Aveiro, Setubal et Lisbonne. Les féministes se sont remobilisées à ce moment là : des groupes attendaient aux portes des tribunaux, par solidarité. Cela a attiré l’attention des médias et de l’opinion publique. Pour la première fois, des femmes catholiques se sont jointes à ces mouvements de revendication. Notre mot d’ordre était : « Pas une femme de plus jugée pour avortement. » Ces pressions sur le Parlement ont conduit à un nouveau référendum en 2007 et le « oui » l’a emporté.
Les résistances de la société portugaise étaient-elles seulement liées à la question de la religion ?
L’Eglise a été une importante force d’opposition. La population était très catholique et allait à l’office toutes les semaines, ce qui a
donné à l’Eglise un important pouvoir de communication. Nous n’étions pas préparées à combattre à armes égales contre elle. En plus de cela, la population était restée conservatrice, à cause de l’héritage de la dictature. Aujourd’hui, l’opposition est beaucoup moins forte. Il n’y a presque plus de manifestations publiques. Ce n’est pas pour autant que le droit à l’avortement est acquis. Avec la crise, nous craignons la suppression du remboursement pour les interruptions volontaires de grossesse. »
Philippine ROBERT