Créée en octobre 2013 à Lisbonne, l’Universidade feminista est une passerelle inédite entre citoyenneté et féminisme, destinée à promouvoir l’échange sur les problèmes actuels.
« Centro de cultura et intervenção feminista. » Dans un recoin rénové du quartier d’Alcantara, l’endroit est bien protégé. Une imposante grille en métal rouge barre le passage des curieux. Le siège de l’association féministe UMAR (União de mulheres alternativa e resposta) n’est pas accessible à n’importe qui. « Nous jouons un rôle important dans la défense des femmes victimes de violences, alors il y a toujours des risques de représailles », glisse Luisa Rego, une des militantes actives de l’association. Pourtant, chaque mercredi, cette lourde porte en ferraille reste ouverte pour accueillir tous ceux qui souhaitent débattre et s’informer sur les questions liées au féminisme.
Une première au Portugal
Depuis octobre 2013, UMAR a ajouté une corde à son arc. Une corde au nom pompeux mais évocateur : Universidade feminista. Un challenge ambitieux pour un pays qui reste assez frileux sur les problématiques féministes. « C’est la première expérience de ce genre au Portugal, affirme Luisa Rego avec fierté. Nous voyons cela comme une sorte d’école informelle pour encourager les échanges entre les universitaires, les militants et les citoyens ordinaires. » Et d’université, elle n’a que le nom. Ici, pas d’amphithéâtre austère ou de cours magistraux soporifiques.
Une fois par semaine, la grande baie vitrée du local associatif se transforme en fenêtre sur le monde féministe, passé et présent. Les tables forment un U, les interrogations s’accumulent et les intervenants les plus illustres se pressent pour y répondre. « Pour notre séminaire d’ouverture, Lynne Segal – une figure du féminisme anglais des années 1970 – a fait le déplacement pour nous parler de la prostitution », souligne Manuela Tavares, la fondatrice d’UMAR. Une trentaine d’intéressés en moyenne viennent pour discuter d’art, de littérature et d’histoire, toujours sous un angle féministe.
« Le mot féminisme fait peur »
Ce projet d’université à Lisbonne est enfoui dans les cartons des militantes d’UMAR depuis novembre 2012. À l’origine, une simple discussion avec les étudiants en études de genre à l’Universidade Aberta. « Ils cherchaient un lieu pour continuer leurs réflexions et leurs débats car au Portugal,
les études sur les questions de genre ne sont pas très poussées », raconte Manuela Tavares. Et elle connaît bien le sujet. Sans hésiter, elle sort son propre livre des rayons du centre de documentation qui recouvre tout un pan de mur du local. Feminismos : percusos e desafios (1947-2007) côtoie les ouvrages de Maria Teresa Horta et de Simone de Beauvoir. Que des références !
Dans un recoin, des boîtes roses et noires renferment les archives du féminisme portugais, précieusement conservées par Joanna, la documentaliste de 33 ans. « Nous avons près de 1500 livres qui traitent exclusivement de la cause féministe que l’on peut librement consulter », lance-t-elle en manipulant avec précaution leur collection de la revue Mouvement des femmes. Un sanctuaire littéraire incontournable pour les chercheurs. Luisa Rego regrette toutefois que le sujet reste entre les mains des universitaires sans mobiliser durablement la population. « Au Portugal, c’est dramatique, reconnaît-elle, un peu désabusée. Il est difficile d’attirer les femmes dans la rue et les faire manifester pour leurs droits. Le mot féminisme fait peur. »
Après le 25 avril 1974 et la révolution démocratique, le féminisme portugais s’est enfermé dans un carcan trop académique qui a desservi les associations militantes. En 2007, la légalisation de l’avortement après trente ans de lutte exclusive a comblé les femmes qui s’étaient focalisées sur cette revendication. Pour elles, le principal était acquis. Dans les lois peut-être, mais sur le terrain, beaucoup moins. Luisa Rego soutient qu’il reste de nombreux domaines de la société à changer et encourage chacun à s’engager : « Il manque
la PMA
Garder l’esprit critique
Une galerie d’affiches des précédentes conférences décore les murs. Des photos en noir et blanc des trois Marias (Maria Teresa Horta, Maria Isabel Barreno et Maria Velho da Costa) rappellent le temps des précurseures du mouvement féministe et la nécessité de marcher dans leurs traces. Sur le pied de guerre lors des manifestations anti-austérité, les féministes portugaises ont élargi leurs champs de batailles aux problèmes sociaux en général. A l’image des Femen qui ne font pas l’unanimité. Un débat s’improvise. « Je suis certainement la seule fan des Femen au Portugal » s’amuse Luisa. « Ici, il manque cette approche du féminisme. Elles ont su mélanger l’activisme et la médiatisation. C’est crucial dans la société dans laquelle nous vivons. » Manuela est plus mesurée : « Je ne crois pas en leur capacité à attirer les militantes. » Des avis divergents, des arguments solides, des échanges constructifs sur leurs visions du féminisme. À l’université, elles ont gagné le droit d’en discuter.
Vanina DELMAS et Pol-Rémy BARJAVEL