Entre Porto, Penafiel et Sobrado, reportage dans la région du Vinho Verde pour mieux comprendre les effets de la crise sur la vente de ce vin perlant, bijou du patrimoine portugais, à qui la crise peut profiter.
« Ici à la Quinta da Aveleda, on fait du Vinho Verde depuis 1671. Pas du vin vert, et surtout pas du « green wine ! » En ce matin pluvieux de février, Martim Guedes donne le ton. Il est l’un des patrons de la « Quinta » (le domaine en portugais) et il tient à être précis lorsqu’il parle du Vinho Verde.
«La propriété emploie une centaine de personnes. Parmi elles, certaines appartiennent à la quatrième ou cinquième génération de leur famille qui travaille pour nous. En 2014, ça compte. » La propriété d’Aveleda, située à Penafiel, à une trentaine de kilomètres de Porto, respire la tradition. Certains bâtiments, comme celui qui abrite la production d’eau de vie maison, peuvent paraître délabrés mais résistent fièrement aux années. Une vingtaine de paons déambulent entre les vignes. « Ce sont un peu les mascottes de la Quinta, je jouais à les poursuivre quand j’étais enfant », s’amuse Martim. Des souvenirs d’enfance qui ont poussé ce trentenaire à laisser tomber sa vie de banquier pour reprendre la propriété familiale – avec 13 de ses cousins – afin de perpétuer la tradition.
Alentejo, Trajaduro et surtout Alvarinho, le pays regorge de cépages uniques, influencés par l’océan Atlantique. Si quelques pâles tentatives de copie ont été observées en Afrique du Sud, le Vinho Verde est inimitable. Martim Guedes connaît la valeur de son vin. Il sait aussi l’importance qu’il a dans une région durement touchée par la crise.Martim a un discours surprenant à l’évocation de la crise. « Paradoxalement, elle est une chance pour nous. On pourrait penser que nos ventes diminuent, que l’on va devoir vendre la Quinta, mais non, c’est même tout le contraire ! » La crise, en fait, est une chance : « Elle force les producteurs à se tourner vers l’exportation. Elle les oblige à s’ouvrir au monde, à faire voyager le savoir-faire portugais et le Vinho Verde », constate Martim.
« A nous de convaincre les consommateurs de boire notre Vinho Verde »
C’est aussi l’avis de Mario Monteiro. Pour le propriétaire de la Quinta das Arcas à Sobrado, située elle aussi à quelques kilomètres de Porto, la crise a ranimé son activité trop centrée sur elle-même. Sa Quinta est également une affaire de famille. Ce jeune patron – il n’a que 30 ans – a récemment pris les rênes de la propriété fondée par son père en 1985.
« La crise nous ouvre de nouvelles perspectives auxquelles nous n’aurions pas pensé. Les consommateurs changent leurs habitudes, goûtent de nouveaux vins. C’est là qu’on doit les convaincre de tester le Vinho Verde ! » Facile à dire. Et apparemment facile à faire, puisque pour l’année 2013, ses ventes à l’international ont augmenté de 40 %. Et de nouveaux marchés sont apparus, de manière très surprenante, comme l’Estonie.
Mais Mario est lucide quant au rôle que le Vinho Verde joue dans la crise. « Il ne faut pas oublier que nous sommes des agriculteurs. On n’a pas d’horaires et on est ultra-dépendants des conditions climatiques. » Cependant, il s’estime être un privilégié. N’attendez pas de lui qu’il se vante de produire des vins primés chaque année. Mario Monteiro n’aime pas l’esbroufe : il préfère travailler son vignoble et innover. Il réinvestit dans son domaine 90 % de ses bénéfices.
A la Quinta da Aveleda, les exportations ont augmenté de « seulement » 20 %. Il est vrai que le domaine exporte 70 % de sa production. Martim est déjà rompu aux joutes internationales. Il a même réussi l’an dernier à pénétrer un marché très fermé : l’Asie. « On exporte de plus en plus au Japon. J’en suis fier, car les asiatiques sont des consommateurs très difficiles à atteindre… »
En Chine, c’est l’émergence de la nouvelle bourgeoisie qui bride le marché. « Le vin est pour les Chinois un indicateur de réussite. Et une bonne bouteille de rouge d’un grand château du Bordelais aura toujours plus de prestige qu’une bouteille de Vinho Verde, qui est un vin jeune, facile à boire. Tout l’opposé d’un vin de garde en fait. »
Alors qui sont les plus gros acheteurs de Vinho Verde ? Les Etats-Unis, et c’est assez logique. La diaspora portugaise de Boston ou du New Jersey se fait ambassadrice de cette fierté nationale. « Les Américains sont des buveurs dits ‘’simples ». La grande majorité d’entre eux veut acheter un produit facile à boire et rafraîchissant. La seule différence avec les consommateurs européens de Vinho Verde, c’est la bouteille que l’on exporte : pas de liège ni de plastique, ils veulent un bouchon dévissable. »
De la même manière, les deux viticulteurs reconnaissent que la législation de l’UE relative au vin est lourde, mais « nécessaire », selon Mario Monteiro. « Sans un encadrement de la qualité et des quantités vendues, ce serait la jungle », précise Fernando Machado, œnologue de la Quinta das Arcas depuis 27 ans. Fernando contrôle les quelques 200 hectares de la propriété. Il est la pierre angulaire de la Quinta et a connu son patron lorsqu’il avait cinq ans. Il est toujours à l’affût des dernières évolutions technologiques pouvant améliorer la fermentation du Vinho Verde. Penser qu’il est un atout précieux pour la famille Monteiro est donc un euphémisme…
Concernant le vin bio vers lequel le domaine des Arcas se tourne, l’UE impose un contrôle sévère sur l’appellation. Un « challenge » pour le propriétaire et son œnologue, fiers de leur Conde Villar Branco, premier vin bio de la région.
Lorsqu’on interroge Mario sur l’avenir de ses vignobles, la possibilité de se faire racheter par un riche investisseur chinois ou américain, il coupe court. Il avoue que s’il vend, ce sera à prix d’or et pour acheter une autre Quinta pour leur faire de l’ombre ! Et il ajoute, malicieux, que pour débaucher Fernando, ils devront rajouter quelques zéros…
Iban RAÏS, à Porto