Le colonel Santa Clara Gomes a participé à la Révolution des Œillets avec des espoirs plein la tête. Aujourd’hui, à 63 ans, son désenchantement est total. Rencontre.
Le rythme est lent, les mots sont pesés, réfléchis. Lorsqu’il évoque « sa » Révolution, le colonel Santa Clara Gomes préfère prendre son temps. Le sujet lui tient à cœur. Et pour cause, il était à Lisbonne ce fameux 25 avril 1974, jour où les militaires ont renversé le président Marcelo Caetano et avec lui une dictature vieille de près d’un demi-siècle. Sans forcément se rendre compte que l’Histoire était en marche.
« Au départ, ce n’était pas vraiment une révolution – ce n’était d’ailleurs pas l’objectif – c’était plutôt un coup d’Etat », se remémore-t-il. Seulement voilà, malgré les consignes diffusées à la radio, le peuple portugais est descendu dans la rue pour soutenir ces militaires révolutionnaires, « c’est le peuple qui a fait la Révolution. Ils sont venus par milliers ! »
C’est pour ce peuple, et « contre ce gouvernement pourri », que Santa Clara Gomes s’est engagé : « J’ai fait une révolution pour changer le pays. Pour rendre la liberté et la souveraineté aux Portugais. » Avec des militaires marqués à gauche et un Parti Communiste puissant, la démocratisation du pays ne pouvait être que rouge. Pleins d’utopies et d’espoirs, Santa Clara Gomes et ses collègues vont vite déchanter. Les nouveaux citoyens portugais en décident autrement depuis quarante ans : le Portugal démocratique est libéral. Un goût d’amertume s’empare du colonel : « Le
peuple
a choisi une démocratisation bourgeoise à l’occidentale. Même si je ne suis pas d’accord, les gens avaient le droit de faire ce choix. »
« Les gens ont tendance à oublier l’histoire »
C’est comme si les valeurs et l’esprit du 25 avril s’étaient envolés. Dans un Portugal affaibli depuis trois ans par des politiques d’austérité imposées par les gouvernements successifs, de gauche comme de droite, la déconvenue est à la hauteur des espoirs de 1974. « Les gens ont tendance à oublier l’histoire, soutient-il. Il faut leur dire que ce système ne peut pas marcher. »
D’ailleurs, l’association du 25 avril, qui réunit tous les anciens militaires ayant participé à la Révolution – dont le colonel Gomes -, a refusé de participer aux commémorations officielles pour les quarante ans, en avril prochain. « Nous considérons que les politiques actuelles ne sont pas d’accord avec les positions de notre association, se justifie l’ancien militaire. Et, quand on n’est pas d’accord, on reste à côté. »
De là à redescendre dans la rue pour une nouvelle révolution ? Santa Clara Gomes ne dit
pas non : « Aujourd’hui, nous n’avons plus besoin d’armes. Notre arme, c’est la rue, les médias, Internet. » Même maltraité, l’esprit du 25 avril semble inoxydable chez le colonel.
Jérémie LAMOTHE